Les contentieux de l’armement Lemoine

 

 

Les contentieux à gérer par un armement maritime sont finalement assez nombreux et fréquents, ceci compte-tenu de la complexité du métier ; il y a d’une façon générale, la liste n’est pas exhaustive, tout d’abord et surtout les accidents de mer ; et puis les contentieux concernant les marins, les approvisionnements, les transports et les livraisons de marchandises ; et aussi les difficultés de recouvrement des créances auprès des négociants et détaillants qui sont nombreux, éparpillés et assez souvent à l’étranger ; il y a les liquidations judiciaires des uns ou des autres et enfin les assurances.

Pour ce qui concerne l’armement Lemoine nous avons pu retrouver les affaires suivantes :

 

-            1°) - L'affaire "Brocanteur" de 1840 avec un arrêt de la Cour d'Appel Royale de Paris du 5 janvier 1843.

-            2°) - L’affaire « Jehan/Lemoine », au pénal, sur le délestage des navires avec un jugement du tribunal de police de Saint-Malo, un appel du tribunal correctionnel de Saint-Malo du 9 juin 1864 et deux arrêts de la cour de cassation, chambre criminelle, des 22 décembre 1864 et 29 juillet 1865.

-            3°) - L’affaire du « Bélair » pour un accident de mer survenu en 1866, avec deux arrêts de la cour d’appel de Rennes des 18 janvier 1869 et 28 mai 1870 puis un arrêt de la cour de cassation du 8 janvier 1872.

-            4°) - L’affaire du naufrage en 1886 du vapeur le « Ouistreham » avec un jugement du tribunal de commerce de la Seine du 5 avril 1888 avec appel auprès de la Cour de Paris 5ème Chambre du 24 février 1890.

-            5°) - L’assassinat d’un marin Jean Marie Le Saux le 30 janvier 1903 à bord de la "Marguerite" qui, rentrée de Terre-Neuve, mouillait en Garonne.

-            6°) - L’affaire du « PF n° 37 » qui le 15 juillet 1904 sombre par une voie d’eau sur le Banquereau ; le capitaine Leray est appelé le 9 décembre 1904 en responsabilité par le tribunal maritime et commercial de Saint-Servan réuni à l’arsenal ; il sera acquitté ; l’armement Lemoine lui conserve sa confiance.

-            7°) - Le naufrage le 6 août 1907 du brick Maurice suite à un abordage avec le vapeur Aurélien-Scholl, plaidé le 7 février 1908 au Tribunal Maritime Commercial de Saint-Servan .

-            8°) - Enfin les affaires « Eider » et « Ermite » en 1934-1936 avec les jugements du Tribunal de Commerce du Havre des 26 juin 1934, 12 janvier 1935 et 14 août 1936 ainsi qu'un arrêt de la Cour d'Appel de Rouen du 17 avril 1935.

-            Nous avons aussi connaissance dans les pièces d’écritures de l’armement d’une affaire « Jamet » auprès du tribunal de Cerce, d’un appel des assureurs concernant une autre affaire « Morue par vapeur Breton ».

 

Me Rouxin avocat au barreau de Saint-Malo est appelé à assurer la défense de ces contentieux, également Me de Grandmaison du Havre, Me Léopold Dor de Rouen, Me Le Pelletier de Paris; et aussi Me de Valroger, un cousin éloigné de la famille, avocat à la cour de cassation avec Me Goiraud pour avoué.

 

 

 

1°) - L'affaire du "Brocanteur" - Lemoine contre assureurs -

 

                        Dans une assurance pour un temps de navigation déterminé, à compter du jour du départ du navire d'un port désigné, l'assuré qui au moment de l'assurance, a pu croire que, d'après les ordres précis qu'il avait donnés, le navire assuré était parti antérieurement, mais qui n'instruit l'assureur ni de l'expédition du navire en lest pour un port voisin du lieu de départ, ni de l'absence de nouvelles du navire depuis lors, commet-il un réticence donnant lieu à l'annulation du contrat ?

 

Lemoine contre assureurs.

 

Le 21 avril 1840, le sieur Lemoine fait assurer à Paris, par la compagnie d'assurance l'Avenir, 2 000 francs sur le corps du navire "Le Brocanteur", évalué de gré à gré 8 000 frs.

Cette assurance a lieu pour six mois de navigation, en tous lieux, à compter du jour du départ du navire, de Fécamp.

L'assuré qui s'était rendu à Fécamp, et y avait le 4 avril (1840), donné l'ordre au capitaine du navire, de partir en lest pour Tréguier, port voisin, avait dû, alors, penser que le départ serait effectué sans retard, et dans cette prévision, il avait fait prendre le 17 avril, à Saint-Malo, une première assurance dont il avait fait remonter l'effet du 5 avril.

Mais en faisant prendre la seconde assurance, le 21 avril, le sieur Lemoine ne fait pas mention, dans sa lettre d'ordre, de la destination donnée au navire à Fécamp pour Tréguier.

On sait que le navire assuré est parti de Fécamp le 6 avril, mais depuis lors, on en a plus de nouvelles.

Le 1er mars 1841, le sieur Lemoine signifie délaissement à ses assureurs et les assigne devant le tribunal de commerce de Paris, en paiement de la somme de 2 000 francs, par eux acquise en risque.

Les assureurs opposent l'exception de réticence, fondée sur ce que l'assuré leur a laissé ignorer la circonstance de l'expédition par lui ordonnée, dès le 4 avril, du navire assuré pour Tréguier.

Attendu que le 21 avril 1840, Lemoine a fait assurer par l'intermédiaire de Martial Julien, courtier de commerce à Paris, par la compagnie l'Avenir, 2 000 francs sur les corps, quille, apparaux et autres dépendances du navire dogre "Le Brocanteur", capitaine Legrand, estimés de gré à gré 8 000 francs, pour six mois de navigation en tous lieux, contre les risques à courir du jour du départ de Fécamp.

Attendu que ce navire n'ayant pas reparu et n'ayant fait parvenir aucune nouvelle, Lemoine a fait signifier le 1er mars 1841, à la compagnie l'Avenir, le délaissement du navire jusqu'à concurrence de la somme assurée, en lui réclamant le paiement des 2 000 francs qu'elle avait couverts;

Attendu que la compagnie l'Avenir se refuse à cette prétention en se fondant sur ce qu'au moment de la signature de la police, de l'assuré ne lui avait pas fait connaître que le navire était parti de Fécamp dès le 6 du même mois, en destination pour Tréguier, et qu'il n'en avait reçu aucune nouvelle, bien que ce dernier port fût à peu de distance de Saint-Malo;

Attendu qu'il résulte des débats et des documents produits, que le navire "Le Brocanteur" entré le 1er avril 1840, dans le port de Fécamp, en est reparti le 6 du même mois sur lest pour Tréguier; qu'il s'agit dès lors de savoir si le 21 avril, jour où l'assurance a été faite, l'assuré avait connaissance de ce départ;

Attendu qu'il est constant que l'assuré était à Fécamp le 4 avril 1840, lorsque le navire opérait son déchargement; qu'il a donné l'ordre au capitaine de ce navire de partir sur lest pour Tréguier, et d'après les dispositions qu'il avait faites, Lemoine avait la certitude que le départ du navire aurait lieu presque immédiatement; qu'on trouve la preuve qu'il avait la conviction absolue que le départ du navire ne serait pas retardé, dans la police qu'il a souscrite le 17 avril 1840, à Saint-Malo, sur le navire, dont, par une condition expresse, il a fait remonter l'effet au 5 avril;

Attendu qu'en faisant couvrir 2 000 francs sur le navire, l'assuré devait porter à la connaissance de l'assureur les ordres précis qu'il avait donnés pour le départ immédiat du navire du port de Fécamp, dès le 4 avril, et l'absence des nouvelles du bâtiment, qui, d'après ses ordres avait dû toucher à Tréguier, afin que cet assureur pût apprécier les éventualités des risques de mer, déjà courus pendant la période de temps écoulée depuis le départ, temps plus que nécessaire pour aller de Fécamp à Tréguier, avec cette considération que, malgré le peu de distance de ce dernier port à celui de Saint-Malo où l'assuré demeurait, on n'en avait reçu aucune nouvelle;

Attendu que, si Lemoine, en donnant l'ordre d'assurer le navire à Paris, a indiqué dans sa correspondance par forme de renseignement, ce qu'il savait sur l'époque du départ du navire de Fécamp, il n'a rien dit sur la destination de Tréguier, circonstance la plus importante, puisque le fait de sa non-arrivée, après un laps de temps plus grand que celui nécessaire en partant de Fécamp, devenait sensiblement aggravant, et que, d'ailleurs, il n'est pas justifié que même les indications de sa correspondance aient été communiquées à son assureur;

Attendu qu'en ne communiquant pas à la compagnie l'Avenir, les faits qui étaient à sa connaissance et qui ont précédé le 21 avril 1840, date de la police souscrite, l'assuré a commis une réticence prévue à l'art. 348 du code de commerce.

Le Tribunal déclare nulle et de nul effet la police de 2 000 francs souscrite sur le navire le Brocanteur par la compagnie l'Avenir, le 21 avril 1840, par suite rejette le délaissement et la demande de Lemoine en paiement de la somme de 2 000 francs, et vu les circonstances de la cause, ordonne la restitution de la prime aux assureurs.

 

Sur l'appel émis par le sieur Lemoine devant la cour royale de Paris:

 

Arrêt

 

Adoptant les motifs des premiers juges;

La Cour confirme.

Du 5 janvier 1843; Cour royale de Paris, troisième chambre - Prés. M. Pécourt; Plaid. MM. Horson et Flandin.

 

Nom : (le) Jeune Frédéric anc La Rufina puis le Brocanteur (le 21 avril 1832)                 Nature :  Dogre construit en l’an 1815  à  Boulogne

du port de    47    tonneaux      60/94 puis 37 tonneaux 78/100

Tirant d’eau : - chargé :   2   m        - non chargé :    1   m   50    cm

Francisé à  Saint-Malo             le  23 juillet 1825         n° 214

Appartenant à       LEMOINE domicilié à

Provient de fol 63 n° 188 - Ant ancien registre        folio 131        numéro 392 

Armements et désarmements :

A le 2 septembre 1826 au PC (petit cabotage) avec 4 h Mtre Olivier Federay

Dés le 27 septembre 1827

A le 29 octobre 1827 au PC avec 4 h Mtre Olivier Federay

Dés le 22 février 1829

A le 24 mars 1829 au PC avec 4 h Me Pierre Monnier

Désarmé le 21 mai 1830

A le 7 juin 1830 au PC avec 4 h Me Pierre Jean Monnier

Dés à Paimpol le 23 juin 1831

A à Paimpol le 24 juin 1831 PC 4 h Me P J Monnier

Dés à St M le 27 septembre 1832

A le 1er octobre 1832 au PC avec 5 h Me Monnier

Dés à St M le 7 octobre 1833

A le 14 octobre 1833 au PC avec 4 h Me Jean Marie Riboulet

Dés Saint-Malo le 24 février 1835

A le 21 mars 1835 PC 4 h  Me Monnier

Dés St Malo le 1er août 1836

A St Malo le 6 août 1836 PC avec 4 h

Dés à Dunkerque le 31 décembre 1837

A à Dunkerque le 1er janvier 1838 au GC capitaine Monnier

Dés le 1er mars 1839

Armé le 2 mars 1839 au cabotage capitaine Monnier

 

Observations : règlement d’assurance du 24 avril 1841 fait au sieur Lemoine de la somme assurée pour ce navire

 

(source : Inscription Maritime de SAINT-MALO -Registre des Bâtiments de Commerce – Cote : 188 et 50)

 

2°) - L'affaire Jehan-Lemoine :

 

Pourvoi de Lemoine contre Jéhan

 

La Cour

Vu l'art 471 n°15 du code pénal

Attendu que Lemoine armateur à Saint-Malo a été cité devant le tribunal de police par Jehan, entrepreneur direct du délestage du port, pour avoir fait décharger par les hommes de l'équipage le lest d'un navire, et avoir fait recharger ce lest sur un autre navire, au préjudice du droit exclusif de l'entrepreneur;

Que le tribunal de police et sur appel le tribunal correctionnel de Saint-Malo (par jugement du 9 juin 1864) a condamné Lemoine à une amende de 2 frs et à des dommages intérêts envers la partie civile, comme ayant commis par ce fait une contravention à l'arrêté préfectoral du 1er juillet 1857, et au cahier des charges de l'entreprise approuvé le 20 mai 1863;

Que ces deux jugements n'excipent d'aucune disposition de l'arrêté préfectoral qui ait défendu, soit aux propriétaires, soit aux capitaines de navires, de faire charger ou décharger leur lest, en se conformant d'ailleurs aux dispositions des règlements sur cette matière; qu'ils ne citent à l'appui de leur décision que l'article 6 de cet arrêté, lequel ne prévoit que le cas où le capitaine veut se débarrasser de son lest composé de matériaux propres à l'intérieur des ouvrages du port, et dispose que ces matériaux seront mis à la disposition de l'administration des ponts et chaussées;

Que si l'article 55 du cahier des charges déclare qu'aucun autre que l'entrepreneur ne pourra s'immiscer ni directement ni indirectement dans le service du lestage, il y a lieu de remarquer que ce cahier des charges, n'étant qu'un simple contrat passé entre l'administration et l'entrepreneur, et ne présentant aucun des caractères d'un règlement de police, ne peut imposer à des tiers aucune obligation emportant une sanction pénale;

Qu'en supposant même, au surplus, que des termes du cahier des charges on pût inférer en faveur de l'entrepreneur le droit exclusif de charger ou de décharger le lest des navires, cette disposition ne pourrait être légalement appliquée, puisqu'elle serait à la fois contraire à l'article 4 titre 4 livre 4 de l'ordonnance de 1681 qui donne aux capitaines la faculté d'employer les gens de leur équipage au lestage et au délestage de leurs navires, ainsi qu'à l'article 7 de la loi du 2 mars 1791 qui a établi la liberté de l'industrie;

Casse, etc…

Du 22 déc 1864 - chambre criminelle - MM. Vaisse prés, F. Hélie rapporteur, Bédarridès av gén, de Valroger av.

 

P.S.: la même cour de cassation dans cette même affaire rejette lors d'un arrêt du 29 juillet 1865 un pourvoi cette fois ci de Jehan, fondé d'une part sur l'incompétence du tribunal de police et d'autre part sur une fausse application des règlements.

 

3°) - L'affaire du "Bélair" - Lemoine contre Beautemps, Beust et assureurs - (1866-1872):

 

Les faits: le navire "Bélair" part de Saint Pierre et Miquelon le 12 novembre 1866 avec un chargement de morues sèches en boucaux, prises à frêt, à destination de La Réunion.

Le 20 novembre, le navire est assailli par un cyclone; il perd son grand mât et est atteint de graves avaries; il est résolu de relâcher au port le plus proche, à Saint Thomas - aux îles Vierge - Caraïbes - où régnait alors une épidémie de choléra; il se réfugiait donc là pour échapper au péril d'un naufrage éminent; la décision avait été prise par le capitaine et son équipage pour le salut commun.

Pour permettre les réparations, il fallut débarquer la cargaison, mais dans l'intérêt de la salubrité, les autorités locales ordonnèrent sa vente publique et immédiate à charge de réexportation dans un délai de cinq jours.

Le navire une fois réparé ne put continuer son voyage entrepris, étant alors privé de marchandise; il fût affrété par Nassau et effectua son retour sur Le Havre.

Il a été alors procédé au classement et à la répartition des avaries entre l'armateur et les propriétaires de la cargaison vendue, les assureurs ayant été dûment appelés; des contestations se sont élevées sur plusieurs points: la répartition de la responsabilité des avaries, la vente à vil prix des marchandises, la perception des primes de l'Etat Français pour vente à l'exportation, les dépenses de remplacement des mâts et agrés, même les effets de l'équipage perdus ou avariés pendant la tempête, ou encore les doits du capitaine …

- une sentence arbitrale est rendue mais elle est contestée de part et d'autre.

- un jugement de 1868 ? reçoit Lemoine incidemment demandeur, joint la demande incidente à la principale et statuant sur le tout par un seul et même jugement en premier ressort donne acte aux assureurs sur corps de ce qu'ils déclarent s'en rapporter à justice et les met hors de cause; ordonne au surplus la rectification du règlement d'avaries…

- La Cour de Rennes dans un arrêt du 1er janvier 1869 valide le délaissement par l'assuré aux assureurs de la cargaison de morue.

- la même Cour de Rennes, 1ère Chambre, en date du 18 janvier 1869 statuant en matière sommaire, dit bien jugé, mal appelé; ordonne que la sentence dont est (fait) appel sortira son plein effet, et condamne les appelants (les assureurs) à l'amende et aux dépens.

- la Cour à nouveau, en date du 28 mai 1870 jugeant en matière sommaire, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la prétendue exception de la chose jugée invoquée par l'appelant (Lemoine), infirme et met à néant la sentence arbitrale dont est fait appel; dit que la prime d'exportation touchée par l'appelant de l'Etat, pour les morues assurées, n'a pas été comprise dans l'assurance; déboute en conséquence les intimés (assureurs) de leurs fins et conclusions, et les condamne au dépens de première instance et d'appel.

- la Cour de Cassation, chambre des requêtes, en date du 8 janvier 1872, rejette le pourvoi engagé par les assureurs.

 

(source: Journal de jurisprudence commerciale et maritime 1869-70 et 1872 par la bibliothèque numérique Gallica)

 

"Bélair" trois-mâts construit en l’an   1864   à  La Richardais

du port de 260 tonneaux   66 /100

Francisé à  Saint-Malo  le  23 février 1864  n° 1129

Appartenant à LEMOINE pour 8/11ème; Galène pour 2/11è; E. Desperles pour1/11è

Provient de  folio  446  numéro 1336 précédemment: de construction neuve

Inscrit le 11 février 1864     

Armements et désarmements : sur Saint-Malo de 1864 à 1875:

- A à St Malo le 23 fév 1864 cap Galène n 79 LC

- Dés au Havre le 22 juillet 1864 revenant de Martinique n 591

- A au Havre le 1er août 1864 cap Galène n 569

- Dés à St Nazaire le 12 mai 1866 n 97

- A à St Nazaire le 21 juin 1866 LC cap Galène n 129

- Dés à St Nazaire le 1 er mai 1868 n 104

- A à St Nazaire le 1er mai 1868 n 125  LC

…..

- Armé à Bordeaux le 4 août 1875 pour le L.C.

Observations : Naufragé le 2 novembre 1875 dans l’anse de Rodrigue

Autres renseignements : La propriété des Lemoine située à Saint-Servan, rue Ville-Pépin, s’appelait aussi  « Bélair »

 

(source: inscription maritime de Saint-Malo - Registre des Bâtiments de Commerce – Cote : 527 et 1336

 

4°) - L'affaire du naufrage du "Ouistreham" (1886-1888) :

 

            Grâce à ce rappel de jurisprudence, nous apprenons que dans la matinée du 27 novembre 1886, le "Ouistreham" un vapeur de l'armement Anatole Lemoine de Saint-Malo, à notre connaissance non rattaché à l'inscription maritime de Saint-Malo, en partance de Bordeaux - et/ou de Saint Malo ? - coulait quelques heures seulement avant son arrivée à Morlaix, son port de destination.

 

"Dans une police flottante, la faculté accordée au titulaire d'appliquer les "déclarations d'aliment 
aux marchandises chargées pour le compte de ses amis et "correspondants si ceux-ci en donnent l'ordre, 
ne l'autorise pas à faire cette "application d'office. 

 

"En cas de police flottante, les marchandises se trouvent assurées par le seul fait de "leur mise à bord, 
alors même que le fait du chargement n'est pas encore parvenu à "la connaissance soit de l'assuré, soit de l'assureur. 
 
"
Peu importe alors que la déclaration soit postérieure au naufrage." 
 

Affaire Lemoine c. Compagnies Underwriting, la Franco-Hongroise et le Phénix autrichien. 
 

Du 5 avril 1888, jugement du tribunal de commerce de la Seine. M. Raffard, président; 
MM Ameline de la Briselaine et Delarue, avocats. 
 

« LE TRIBUNAL : — Attendu que les sinistres dont Anatole Lemoine demande la réparation aux Compagnies défenderesses, 
à raison de la police d'assurance qu'elles ont consentie, ledit document à enregistrer avec le présent jugement, 
s'appliquent à deux expéditions chargées l'une à Bordeaux et l'autre à Saint-Malo, à destination de Morlaix ; 
qu'il convient d'examiner séparément chacune des réclamations soulevées par le demandeur; 
 
« Sur les marchandises expédiées de Bordeaux : 
 

« Attendu que Lemoine expose que, dès le 22 novembre (1886), il a régulièrement donné l'ordre à ses assureurs 
d'appliquer à la police flottante 
qu'ils lui avaient ouverte les risques de diverses marchandises, chargées le 20 du même mois sur son vapeur le Ouistreham; 
que, dans ces conditions, il fait plaider à la barre de ce tribunal que les Compagnies qui sont parties à ladite police devraient être, 
chacune pour leur part et portion, à concurrence du montant par elles assuré, tenues de l'indemniser de la perte totale qu'il a subie 
par suite du naufrage du navire précité, survenu en cours de route, 
quelques heures seulement avant son arrivée à Morlaix, son port de destination ; 
 

"Attendu que, s'il est vrai que la police dont excipe Lemoine soit une police d'abonnement lui accordant une durée déterminée 
pour les déclarations d'aliment et la faculté d'y appliquer les marchandises chargées tant pour son compte personnel 
que pour compte de ses amis et correspondants, cette application a été subordonnée à l'obligation, pour ceux-ci, 
de donner l'ordre de faire assurer avant la connaissance de tout sinistre ou mauvaise nouvelle; 
 

« Attendu qu'il est acquis aux débats que les colis mis à bord du Ouistreham, à Bordeaux, appartenaient à des tiers; 
que, néanmoins, Lemoine ne justifie d'aucune instruction à lui donnée spécialement par les chargeurs, 
à l'effet de faire assurer les marchandises qui ont péri, bien que les connaissements à eux délivrés contiennent la mention :
« Les  marchandises ne seront assurées contre les risques maritimes 
qu'autant que les expéditeurs en auront fait la demande par leur note d'expédition et la déclaration par le connaissement » ; 
 

"Attendu qu'on ne saurait considérer comme ayant une valeur quelconque la signature mise par l'expéditeur sur l'un des connaissements 
afférents aux colis dont s'agit, puisque lui-même a pris soin de la faire suivre de la date du 7 janvier 1887, 
indiquant ainsi que sa déclaration de la valeur assurée était postérieure de six semaines au sinistre survenu; que dans ces conditions, 
et faute d'instructions données par ses mandants, Lemoine n'était nullement autorisé à appliquer d'office 
à la police ouverte par les Compagnies contractantes les marchandises ayant fait l'objet de l'avis d'aliment 
qu'il a adressé dès le 10 novembre; qu'il est donc hors de droit 
pour réclamer à ses assureurs le remboursement du sinistre qui est survenu; qu'en l'état, sa demande, de ce chef, doit être repoussée; 
 

« Sur les marchandises chargées à Saint-Malo : 
 

« Attendu que, pour se refuser au payement de la somme de 4,000 francs, représentant la valeur des marchandises mises à bord du 
Ouistreham, à Saint-Malo, par Lemoine pour son compte personnel, les Compagnies défenderesses ont fait plaider à cette barre 
 que les avis déchargement devaient être donnés, autant que possible, avant le départ du vapeur ; que, néanmoins, 
 le demandeur aurait signalé le chargement dont s'agit seulement le lendemain, c'est-à-dire le 27, 
 après avoir eu déjà connaissance de la perte de son navire, survenue ledit jour dans la matinée ; 
 qu'ainsi, et faute de s'être soumis aux prescriptions inscrites dans la police, 
 il ne saurait aujourd'hui avoir droit au bénéfice de l'assurance dont s'agit, 
 puisque, à raison de ses propres agissements, elle serait frappée de déchéance, conformément à l'article 365 C. com.; 
 

« Mais attendu que,, si toutes déclarations devaient être adressées, autant que possible, avant le départ du navire, 
ainsi que le soutiennent les Compagnies défenderesses, les termes de la police dont elles excipent stipulent également : 
« et au plus tard dans les vingt-quatre heures de son départ »; qu'en l'espèce il s'agit en effet 
d'une police d'abonnement destinée à couvrir des applications successives dont les risques prennent naissance par 
le seul fait du chargement:
 

"Attendu qu'il est établi que le chargement du vapeur Ouistreham a été terminé le 26 novembre (1886) dans la soirée seulement; 
qu'avis de cet aliment n'a donc pu être donné par lettre aux assureurs avant le 27; 
« Et attendu qu'il est justifié aux débats que Lemoine, en application de sa police flottante, a, 
le même jour, fait aux assureurs la déclaration des marchandises par lui expédiées, la veille, 
sur le Ouistreham; qu'il s'est, en conséquence, strictement conformé' aux prescriptions à lui imposées 
par les clauses particulières de sa police et ne saurait être, par suite, déchu du bénéfice d'une assurance qui,
 dès le moment de leur mise à bord, a couvert ses marchandises, s'élevant à la somme de 4,000 francs; 
 d'où il suit qu'à raison de la part proportionnelle acceptée par chacune des Compagnies défenderesses 
dans l'assurance faisant l'objet de la présente instance, il y a lieu de les obliger à payer à Lemoine : 
« Compagnie Underwriting, la somme de frs. 1.333 

" La Compagnie Franco-Hongroise, celle de 667 frs 
« Et le Phénix-Autrichien 667 frs 
 
« Sur les dommages-intérêts : 
 

« Attendu que des faits sus relatés il ressort que Lemoine ne saurait justifier d'aucun préjudice à lui causé par les agissements des 
Compagnies défenderesses; qu'il n'échet de faire droit à sa demande au fin de dommages-intérêts; 
 

Par ces motifs : — Condamne les Compagnies défenderesses à payer à Anatole Lemoine, savoir, etc. » 
 
OBSERVATION: en matière d'assurance in quovis, le fait seul du chargement, 
sans désignation du navire ou du capitaine, est suffisant pour faire courir les risques de l'assurance, 
à la condition cependant que les marchandises aient été chargées dans les conditions prévues parle contrat. V. Ruben de Couder, 
Dictionnaire de droit commercial 1. 1, p. 484, n 136, et les décisions citées.
 

NDLR: Lemoine fait appel ; un arrêt de la Cour de Paris du 24 février 1890 le déboute ; nous avons le sentiment que cette affaire est allée jusqu’en cassation en 1890-1891 avec Goiraud pour avoué et de Valroger pour avocat.

 
 "Ouistreham" bateau à vapeur construit à … le …
du port de …
 

5°) - L'assassinat Le Saux ou l'affaire de la "Marguerite" :

 

Un marin assassiné et jeté à l'eau - Le cadavre de M. Le Saux retiré de la Garonne -

 

On n'a pas oublié que le 30 janvier dernier (1903), une malheureuse rixe se produisit, vers onze heures du soir, sur le pont du brick-goélette Marguerite, c. Prudent, de Saint-Malo, comme le navire rentré de Terre-Neuve était mouillé en Garonne. Un marin passager nommé Jean Marie Le Saux, inscrit à Lannion, fut frappé, on ne sait encore exactement dans quelles conditions, puis jeté dans la rivière où il se noya.

La police arrêta les deux seuls matelots qui se trouvaient à bord de la Marguerite avec Le Saux, Paranthoen et Rohu, encore incarcérés au fort du Ha. Ni l'un ni l'autre n'ont voulu avouer avoir frappé Le Saux qui à les croire serait tombé accidentellement dans la Garonne.

Les magistrats chargés de l'instruction de cette affaire attendaient avec impatience que le cadavre de Le Saux fut retrouvé, afin de savoir, en le soumettant à l'examen médico-légal, s'il portait ou non des blessures.

Le corps de Le Saux a été retiré samedi matin de la rivière, aux confins des communes de Bassens et de Lormont. Le garde champêtre de cette dernière localité téléphona à Bordeaux et M. Roy, gardien de la morgue, fut chargé d'aller prendre le corps du malheureux noyé.

A quatre heures de l'après-midi, M. Martin, commissaire de police, s'est rendu à la morgue où il a d'abord fait éponger soigneusement le cadavre de Le Saux qui était recouvert de vase. Il a pu alors constaté que les yeux étaient tuméfiés et qu'une blessure profonde de trois centimètres et longue de quatre, existe derrière la tête, sur le côté gauche à la naissance du cou.

La reconnaissance ordinaire du corps a été faite par MM. Eugène Dubac, second de la Marguerite, et Paul Raboutet matelot.

Le juge d'instruction avait décidé qu'avant l'inhumation de Le Saux, les deux inculpés Paranthoen et Rohu seraient mis en présence de son cadavre.

Cette confrontation a eu lieu samedi soir. A six heures, la voiture cellulaire est allée prendre au fort du Ha les deux inculpés Paranthoen et Rohu qui, sous la garde d'agents de la sureté et de gardiens de la paix, ont été conduits à la morgue.

Paranthoen et Rohu, malgré l'état de décomposition dans lequel se trouvait le cadavre de Le Saux, n'ont pas hésité à reconnaître ce dernier, mais ils persistent dans leur système de défense.

Le Saux, disent-ils, a été jeté à l'eau par le chien du bord et les blessures qu'on relève sur lui doivent provenir du contact de son cadavre avec les chaines des navires qu'il a heurté, balloté par le flot.

M le docteur Lande, médecin-légiste, aura à se prononcer sur la nature de ces blessures.
            Paranthoen et Rohu ont été réintégrés au fort du Ha.

 

(source: Ouest-Eclair édition de Rennes du 2 mars 1903 par Gallica)

 

"Marguerite" brick-goélette puis goélette ? construit en l’an 1878  à Saint-Vaast (La Hougue ?)

du port de 89 tonneaux 91 /100; antérieurement 122 tonneaux 48/100

Francisé à Saint-Vaast   le 14 mars 1879   N° 489

Appartenant à Lemoine père (François) domicilié à Saint-Malo

Puis à Auguste Lemoine

Provient de Binic  folio 47  numéro 139

Inscrit le 29 juin 1881

Reporté matricule 3 folio 1162 n°3484 le 10 septembre 1908

Armements et désarmements : à partir de Saint-Malo de 1881 à 1906

Capitaines: Benest pour Terre-Neuve; Laîné pour le long-cours et le cabotage; Flechet; Guillou; L’Hotellier

Autres renseignements :

- évalué 15 000 francs dans l’inventaire après le décès de Mme François Lemoine

- attribué pour la même valeur à Auguste Lemoine dans le partage après le décès de son père du 5 octobre 1885

- le 15 octobre 1904, terrible coup de vent de nord-est, les navires Louvois et Marguerite, à l’ancre en rade de St-Pierre, tous deux de l'armement Lemoine, entrent en collision et se font de graves avaries

- dépecé en 1915

 

(source: inscription maritime de Saint-Malo - registre des bâtiments de commerce - cote 1625)

 

6°) - L'affaire du naufrage du P. F. N° 37 ou affaire Leray - :

 

Le Tribunal Maritime Commercial s'est réuni hier à Saint-Servan à 1 H 1/2 à l'Arsenal Maritime pour juger M. Louis Joseph Leray, patron du sloop naufragé P.F. 37, âgé de 30 ans, de Saint-Suliac.

Le Tribunal était ainsi composé. MM de Miniac, capitaine de vaisseau, président, Leguen, lieutenant de vaisseau, Orain, juge du Tribunal de commerce de Saint-Malo, Dulac et Populaire, capitaines au long cours, juges; Fournier, capitaine de frégate, commissaire-rapporteur et Blandin, commis de l'inscription maritime, greffier.

Le 15 juillet 1904, le sloop P.F. N°37, commandé par M. Leray, se trouvant sur le Banquereau, une voie d'eau qui s'était déclarée à l'arrière du navire quelques jours auparavant s'agrandit dans de telles proportions que les pompes ne purent lutter contre l'envahissement de l'eau et que le navire dut être abandonné par les 14 hommes d'équipage et le capitaine qui, recueillis au dernier moment par la goélette Jeanne-Auguste, le virent couler sous leurs yeux.

Le Tribunal s'attache à savoir pourquoi M. Leray, connaissant ce bateau qui était vieux puisqu'il comptait 25 ans de navigation, n'avait pas exigé avant son départ au mois de juin 1904, une inspection complète de la coque, sachant surtout que dans les précédentes campagnes il faisait un peu d'eau.

Il lui demande aussi pourquoi il n'a pas cherché à rentrer plus tôt à Saint-Pierre, au lieu de perdre du temps à relever ses lignes et puisque le vent l'empêchait de lever l'ancre, pourquoi il n'a pas abandonné ancre et chaîne, quitte à les reprendre plus tard en indiquant leur place avec une bonde.

M. Leray répond sans forfanterie et avec la plus grande simplicité; il pense avoir fait pour le mieux, il a cherché à sauver les 120 lignes qui étaient dehors. De plus, il voyait bien que le navire allait couler mais il avait plus d'espoir de sauver son équipage en coulant sur le banc où se trouvaient d'autres navires qu'en risquant de se trouver isolé en rentrant à Saint-Pierre avec sa voie d'eau.

Ajoutons que Mme Lemoine, armateur de M. Leray, a maintenu sa confiance à ce dernier et lui a donné le commandement du "Louvois" qui est rentré dernièrement à Saint-Malo. Elle est même encore disposée à lui confier un commandement pour la campagne 1905, après que le Tribunal aura prononcé son jugement.

Le Tribunal, après audition de M. le capitaine de frégate Fournier, ne juge pas M Leray coupable d'avoir perdu le sloop P.F. 37 par imprudence et le renvoie acquitté.

 

(source: Ouest-Eclair édition de Rennes du 10 décembre 1904 par Gallica)

 

P. F. n°37, sloop construit en l’an 1879 à Saint-Malo

du port de 39  tonneaux 80 /100

Francisé à Brest le 18 novembre 1879 N° 1148

Appartenant à Auguste Lemoine domicilié à Saint-Malo

Provient de Brest  folio 270 numéro 806

Inscrit le 24 décembre 1885        

Armements et désarmements : sur Saint-Malo  de 1885 à 1904

Autres renseignements :

- deux sloops P.F.37 et P.F.45 attribués pour 6 000 francs à Auguste Lemoine dans le partage après le décès de son père du 5 octobre 1885

- coulé en mer sur le Banquereau à la suite d’une voie d’eau le 15 juillet 1904

 

(source: inscription maritime de Saint-Malo - registre des bâtiments de commerce - cote 1905)

 

7°) - L'affaire de l'abordage et du naufrage du "Maurice"ou affaire Le Pays - :

 

Saint-Servan - Brick contre Vapeur - L'abordage du brick "Maurice" et du vapeur "Aurélien-Scholl" au Tribunal Maritime Commercial.

 

Le Tribunal Maritime Commercial spécial s'est réuni hier matin (7 février 1908), sous la présidence du capitaine de frégate Simon, à l'Arsenal de la Marine, à Saint-Servan, pour juger le capitaine au long-cours Joachim Le Pays, prévenu d'avoir causé l'abordage survenu le 6 août 1907, entre le brick-goélette "Maurice" et le vapeur "Aurélien-Scholl".

Le brick-goélette "Maurice" de 33 ans d'âge, de 100 tonneaux de jauge et de cinq hommes d'équipage, chargé de ciment et de goudron, suivait la route de Boulogne à Binic et Le Légué, lorsque le 6 août (1907) à 10 heures et demie du soir, il fut abordé à 10 miles environ dans l'est du cap de la Hague, par le vapeur "Aurélien-Scholl", de 1 100 tonneaux de déplacement et de 23 hommes d'équipage, chargé de marchandises diverses, et allant de Marseille à Dunkerque.

Le brick goélette "Maurice" était commandé par le maître de cabotage Lissillour qui était sur la dunette de quart au moment de l'abordage.

Le navire était assuré pour 7 000 francs à Paris, le capitaine ayant à son compte le frêt, les approvisionnements, les vivres et les instruments nautiques qui n'étaient pas assurés.

Le vapeur "Aurélien Scholl" était commandé par le capitaine au long cours Lanux qui était dans sa cabine au moment de l'accident. Le capitaine au long cours Le Pays, officier en second, était de quart à ce même moment.

Les vents étaient O.N.O., du compas au Nord 85° vrai, l'horizon clair, le ciel étoilé mais pas de lune. Les courants au moment de l'abordage (quatre heures après la pleine mer de Cherbourg), portaient ouest avec une vitesse de quatre nœuds environ; la mer était belle et un peu clapoteuse.

Le brick-goélette Maurice faisait route au plus près tribord amures, toutes voiles dessus, avec une vitesse de quatre nœuds et demi, le cap au S.O. du compas au S 29° O vrai.

Le vapeur faisait route à l'est un quart N.E. du compas, soit N 62° Est vrai avec une vitesse de dix nœuds. Les routes des deux bâtiments se coupaient donc sous un angle de 34° environ.

Les feux de côté de la goélette étaient deux grosses lampes à pétrole, le "Maurice" ayant fait pendant un an le long cours.

Les feux du vapeur "Aurélien Scholl" étaient des feux électriques d'une grande clarté. Vers dix heures du soir, la goélette "Maurice" se trouvait sur la route des vapeurs Casquets, Beachy et Head; le capitaine Lissilour, de quart, aperçut le feu blanc du vapeur par tribord devant, puis quelques temps après le feu rouge; il constata à ce moment que ses feux de route étaient clairs et nettoya les verres des fanaux.

Les dépositions de l'équipage du Maurice sont toutes d'accord pour dire que dans l'intervalle qui s'écoula entre le moment où l'on aperçut le feu rouge du vapeur et la collision, on vit ses deux feux rouge et vert; son feu vert s'est ensuite caché et on a aperçu son feu rouge.

Le capitaine Lissilour fit bruler à l'arrière une torche pour attirer l'attention du vapeur. Cette torche fut allumée au moment où le vapeur se trouvait à environ deux miles dit Lissilour tandis que Le Pays dit qu'il ne l'alluma qu'à deux encablures. C'est à ce moment, d'après Le Pays, qu'il mit la barre pour venir sur tribord jusqu'à E.S.E. du compas ou S. 75° Est vrai, roulé à peu près perpendiculaire à la route de la goélette.

Le capitaine Lissilour voyant l'abordage imminent, commanda de mettre la barre au vent, mais au même instant il fut abordé par tribord, par le travers des grands haubans.

L'équipage de la goélette eut le temps de monter à bord du vapeur et, moins de cinq minutes après l'abordage, la goélette disparaissait sous les flots, sans que l'on put rien sauver.

Les dépositions de Le Pays sont assez contradictoires. Il dit en effet devant la commission d'enquête qu'à 8H 55 il avait le cap à l'Est 1/1 N.E. et qu'il n'a changé sa route à aucun moment sauf lorsqu'il a vu l'abordage imminent et alors il est venu sur tribord, il dit dans son interrogatoire par le commissaire rapporteur que quand il aperçut la 1ère torche vers 10 H, il manœuvrait pour un vapeur dont il voyait le feu rouge par tribord. A ce moment ayant pris la barre, parce que l'homme de barre n'était pas bon, il fit venir le vapeur de un quart environ sur tribord et ensuite il revint sur bâbord pour reprendre son ancienne route; cela peut expliquer pourquoi les hommes de la goélette ont aperçu d'abord son feu rouge et ensuite son feu vert, car il a pu faire une petite embardée avant de reprendre sa route. Il essaya avec ses jumelles de voir le bateau qui avait brulé la torche, mais ne vit rien. Il pensa que ce bateau était un bateau pilote car il en avait rencontré deux autres à 9H 30 et à 9H45. Ni lui ni l'homme de barre qui avait pris la barre à 10H 5, n'ont aperçu le feu vert de la goélette, mais tandis que Le Pays affirme n'avoir manœuvré qu'après avoir vu la deuxième torche, l'homme de barre Bosset dit que vers 10H 5, il vit une torche à un quart environ par bâbord et cinq minutes après, l'officier en second, pensant avoir devant lui un pilote du Havre, fit venir d'un quart sur tribord à l'est, puis à l'Est 1/4 S.E. et enfin à l'E.S.E.

Le feu vert de la goélette ne fut aperçut que quelques secondes avant l'abordage, la machine fut stoppée et renversée. Le Pays n'a fait aucune manœuvre avant et n'a donné aucun coup de sifflet. Il semble étonnant que Le Pays et les hommes du vapeur n'aient aperçu le feu vert du voilier qu'au dernier moment. Il se peut que la clarté de ce feu ait été atténuée par la torche brûlée par Lissilour, mais si la déclaration de Le Pays qui avait dit qu'elle ne fut allumée que quand il était à deux encablures est exacte, il aurait pu voir le feu vert auparavant. Les déclarations de l'équipage de la goélette qui dit avoir aperçu le vapeur à dix heures et la vérification des feux de côté par Lissilour semblent véridiques.

Les routes des deux bâtiments faisaient un angle de 34°. Il y a lieu de remarquer que la vitesse relative des deux bâtiments était presque de 14 noeuds 5, ce qui fait 447 mètres de rapprochement à la minute.

La commission d'enquête conclut à la mise hors de cause du capitaine Lissilour et à la comparution du capitaine Le Pays devant un Tribunal Maritime Commercial Spécial.

Le capitaine Joachim Le Pays est né en 1874 à Saint-Gildas (Morbihan); il est inscrit à Vannes. A l'audience, il prétend avoir vu deux torches sur le brick goélette Maurice et il déclare avoir cru se trouver devant un bateau pilote du Havre. Ses déclarations, faites d'une voix nette et franche, semblent impressionner favorablement le tribunal.

Le capitaine Lissilour, inscrit à Lannion, est cité comme témoin. Il déclare avoir eu ses feux en place et n'avoir allumé qu'une torche pour prévenir le navire qu'il voyait devant lui.

Le capitaine de frégate Jardin qui remplit les fonctions de commissaire du gouvernement, réclame l'application de la loi. Dans une belle plaidoirie, Me Frangeul montre que l'abordage du brick-goélette Maurice et du vapeur Aurélien Scholl ne peut avec certitude être attribué à son client. Il estime que le cas est douteux et en conséquence il demande l'acquittement du capitaine Le Pays.

Après avoir délibéré, le tribunal, estimant qu'il se trouve en présence d'un cas douteux, prononce, par quatre voix contre ….

(source: Ouest-Eclair édition de Rennes du 8 février 1908 par Gallica)

 

"Maurice" brick-goélette construit en l’an 1874 à Saint-Malo

du port de 100  tonneaux 89 /100 – avis des douanes du 20 juin 1893 - antérieurement 126 tx 88/100

Francisé à Dinan le 17 octobre 1874       N° 117

Appartenant à Auguste Lemoine domicilié à Saint-Malo

Provient de Dinan   folio 242 numéro 725

Inscrit à St-Malo le 26 mars 1887              

Armements et désarmements : sur Saint-Malo de 1887 à 1907

Va régulièrement à Terre-Neuve de 1895 à 1901; le retour se fait par Bordeaux

Observations : Perdu le 6 août - et non avril- 1907 - et non 1909 - à 10 miles à l’est de la Hague

Armé à Dunkerque le 8 mai 1907 n°148 ?soumission annulée le 30 décembre 1907

 

(source: inscription maritime de Saint-Malo - registre des bâtiments de commerce - cote 2006)

 

8°) - Les affaires "Eider" et "Ermite" - Henry contre assureurs maritimes - :

 

            Henry, co-propriétaire avec Ludovic Lemoine et autres et capitaine du trois-mâts Ermite, armé pour la grande pêche, Terre-Neuve et Groenland, quitta Saint-Malo le 23 mars 1933 à destination de Terre-Neuve, dans les eaux de laquelle il pêcha jusqu'au 28 juin, jour où il appareilla pour le Groenland dans les eaux duquel il pêcha du 18 juillet au 13 août, jour de l'échouement du navire qui fût abandonné et se perdit.

            (voir Ouest-Eclair du 16 août 1933)

 

- Jugement du Tribunal de Commerce du Havre du 26 juin 1934 et son arrêt de la Cour d'Appel de Rouen du 17 avril 1935.

 

Assurance Maritime - Changement de voyage - Avis à donner aux assureurs -

 

Navire Ermite

 

Henry contre assureurs maritimes

 

Lorsqu'aux termes de la police:" les primes fixées ne comprennent pas les risques de navigation et de pêche au Groenland; cependant le navire aura droit à cette extension de risques, mais seulement après déclaration préalable donnée aux assureurs, moyennant l'une des surprimes forfaitaires fixées ci-après, qui sera à ressortir au moment du départ pour le Groenland, l'assuré ne saurait prétendre à la couverture du voyage au Groenland s'il n'a pas dénoncé ledit voyage aux assureurs et c'est en vain qu'il invoque à cet égard le fait qu'il n'avait pas à bord d'appareil de T.S.F.; il n'y a pas là ni cas fortuit ni de force majeure, car il lui appartenait de prévoir, tenant compte des moyens du bord, les modalités de l'avertissement préalable auquel il s'était engagé par contrat. Cette condition de dénonciation préalable de la continuation du voyage est applicable, en cas de sinistre au cours du voyage au Groenland, non seulement à l'assurance-corps principale, mais aussi à l'assurance des frais de rapatriement, primes d'assurances et excédents de pêche, qui sont l'accessoire de la première et, partant, soumise aux mêmes conditions d'existence.

 

La Cour

- En la forme: reçoit Henry en son appel;

- Au fond - A) En ce qui a trait aux assurances sur corps, primes et rapatriement, c'est-à-dire toutes les assurances visées à l'instance, à la seule exception des polices excédents de pêche: par les motifs ci-dessus déduits, et ceux non contraires des premiers juges, confirme le jugement dont est (fait) appel et juge Henry mal fondé dans sa demande;

B) En ce qui est relatif à la convention d'assurances d'excédents de pêche: amendant sur ce point la décision des premiers juges, rejette comme sans objet l'errement ordonné; juge Henry mal fondé dans ses demandes, fins et conclusions;

C) En ce qui a trait à la condamnation de Henry, à titre de dommages-intérêts, de droits, doubles droits, amendes de timbre et d'enregistrement: amende sur ce deuxième chef la décision dont est appel;

D) Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a condamné Henry aux dépens de première instance;

Le condamne en outre aux dépens d'appel

Rejette le surplus des conclusions des parties auxquelles il est répondu par le présent arrêt.

 

- Jugements du Tribunal de Commerce du Havre du 12 janvier 1935

 

Navires Ermite et Eider

 

Les tribunaux de commerce sont seuls compétents pour connaître d'un litige se rapportant au paiement de primes d'assurance d'un navire à l'égard d'un co-propriétaire du navire non-commerçant…

L'engagement de "ducroire" n'est pas absolument spécial au contrat de commission et se rencontre parfois dans le contrat de mandat, d'agence ou de représentation …

Le délégataire du bénéfice de l'assurance d'un navire est tenu au paiement des primes non réglées par l'assuré, mais seulement dans la mesure où, étant substitué pour le montant de sa délégation à tous les recours de l'assuré contre l'assureur, il doit en contrepartie assumer les obligations de l'assuré.

L'acte de francisation n'est pas dans la pratique un document dont il est fait usage vis-à-vis des assureurs autrement qu'en cas de perte du navire …

 

- Jugement du Tribunal de Commerce du Havre du 14 août 1936

 

Navires Ermite et Eider

 

Délégation - Ratification par la délégation - Remise des avenants -

 

(source: Revue de droit maritime comparé 1er janvier 1935 par Gallica)

 

NDLR: cette dernière jurisprudence représente en fait l'étape finale de l'armement Lemoine: à la suite du naufrage de l'Ermite au Groenland, plus de navire, pas d'indemnité d'assurance donc, de nombreux créanciers avec en tout premier lieu les marins demandent à être payés, les biens personnels de Ludovic Lemoine dont la malouinière de Saint-Servan "La Ballue" sont d'abord hypothéqués puis vendus.

 

"Ermite", trois-mâts construit en l’an 1923 à  Saint-Malo

Chantier François Gautier ??

du port de 334,74 tx brut (346 tonneaux 71 /100  jauge brute totale pour les primes) ou 258,66 tx net (ou 232,66)

Dimensions: longueur 39,47 m largeur 8,80 m hauteur 4,05 m

Francisé à Saint-Malo  le 18 février 1924  N° 2287

Appartenant à Ludovic LEMOINE 5 rue d’Orléans Saint-Malo pour 7 /45, Troyes de Dinan pour 3/45, Baibled pour 3/45, Lemeilleur pour 4/45 (ancien capitaine de l’Eider ?), Aubert Rielle de Saint-Dié pour 4/45, Buffet pour 3/45, de Traversay pour 3/45, O’Murphy pour 2/45, De Boismenu pour 1/45, Bellail pour 1/45, Jugault pour 1/45, Briantais pour 1/45

Provient de construction neuve           

Inscrit le 15 février 1924                   

Armements et désarmements : à partir de Saint-Malo de 1924 à 1933

- Expédié le 22 mars 1933 sur les bancs de Terre-Neuve

 - Le 20 mai 1933 à 3h20 du matin, l’Ermite étant par L : 44°15’N et G :49°25’Wg1, disparaît Louis Marie Célestin Pinault né à Plerguer le 8 février 1886, patron de doris ; aperçu pour la dernière fois par l’homme de quart Emile Bourdillon et manquant à l’appel lors d’un branlebas de l’équipage vers 4 H.

- Coulé par voie d’eau le 13 août 1933 à 13 miles environ de Holstenborg au Groënland certainement par suite d’une collision avec un iceberg.

- La même année, Ludovic Lemoine vend par nécessité sa malouinière « La Ballue » 

- Autres renseignements : signe distinctif du navire : OVAJ

- 34 personnes à bord dont 23 patrons de doris

- capitaine : François HENRY né à Pleslin le 28 novembre 1892, domicilié à Saint-Servan 8 rue Constantine ; rémunération : 7% sur le net

- second : Gabriel Gardinier

- saleur : Léon Tirel

 

(source: Inscription Maritime de Saint-Malo - registre des Bâtiments de Commerce -  cote : 4567)

 

                                                                                  Yves Duboys Fresney

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