A Saint-Malo, doit-on croire aux grands animaux marins ?

 

A Saint-Malo, le gigantisme des animaux marins se raconte souvent accoudé au comptoir des tavernes, mais pas seulement là … A Marseille, une sardine a été décrite si grosse qu’elle aurait bouché l’entrée du port ... A Fécamp, on parle de tout cela dans un angle de bassin dénommé « Le Bout Menteux » ... Il y eut aussi, selon Pline, l’existence d’un poulpe, l’arbas, assez grand pour interdire par sa masse le passage du détroit de Gibraltar … Dans les milieux maritimes, les histoires aux limites du réel ont été assez nombreuses, au point de hérisser parfois la communauté scientifique … Essayons à partir de Saint-Malo d’aborder sérieusement et sobrement la question :

 

Une histoire ancienne circule à ce sujet dans la ville : vers l’an 1660, un navire malouin, apparemment une frégate, naviguant sur les côtes de l’Angola dans le but de traiter des esclaves pour les Antilles [1] , faillit périr attaqué par un poulpe géant ; un combat eut lieu et le navire apparemment pu s’en sortir sain et sauf ; nous n’avons malheureusement que très peu de détails sur le déroulement des faits et sur les circonstances : le navire était au mouillage, par temps calme, prêt à repartir pour l’Amérique ; les marins étaient tous à bord, ils durent combattre fermement avec des piques et des haches pour faire lâcher prise à l’animal ; lors de l’attaque, le navire se coucha – il prit la bande [2] A part cela, il nous manque des éléments essentiels comme le nom du navire et celui du capitaine …

 

Mais pourquoi, malgré tout, savoir le navire malouin, pourquoi le navire sain et sauf ? Un ex-voto daté de 1661 représentatif et commémoratif de l’évènement reposa longtemps dans la chapelle Saint-Thomas de Saint-Malo … Nous avons ainsi, à cette date et par ce moyen, la preuve d’un retour au port suite à un drame de mer ; à partir de là, pendant de nombreuses années, les familles malouines prièrent au pied de cet ex-voto pour que leurs marins échappent à tous les dangers de la mer, y compris à celui des poulpes géants …. Laurier Trugeon, professeur canadien d’histoire maritime, dans son « Monstre marin de Guillaume Pottier » rappelle à titre d’exemple cet ex-voto de Saint-Malo parmi les différentes modalités de preuves apportées à tous ces évènements de mer si lointains, parfois difficiles à certifier [3] .

 

Dans l’ouvrage « La conquête de la mer » de Ernest Jaubert (1856-1942) éditeur Delarue Paris 1895, il est dit « De nombreux tableaux votifs, dans les églises des côtes représentent le poulpe enlaçant de ses bras, plus longs que les grands mâts, un navire dont le bordage éclate sous la pression . » En vérité, il n’y eut qu’un seul ex-voto semblable représentant un combat avec un poulpe colossal sur les côtes de Caroline du Sud ; il se situait en 1867 dans la basilique Notre Dame de la Garde de Marseille – source Armand Landrin -

 

Saint Thomas, l’apôtre, resta longtemps le patron du port de Saint-Malo, avant même que la Vierge Marie ne devienne la patronne et le recours de tous les marins ; et Saint Thomas est celui qui ne voulait croire qu’à ce qu’il avait vu et palpé ; le Saint et puis la chapelle étaient tout à fait ce qu’il fallait pour recevoir les ex-voto et toutes les prières qui allaient préserver les malouins des catastrophes maritimes lointaines [4]

 

Mais depuis cette époque, qu’est-devenu l’ex-voto, ce témoignage poignant, preuve de vérité ? Aujourd’hui, plus rien n’existe ! … Ni d’ex-voto, ni d’ailleurs de chapelle Saint-Thomas ! Ont-ils fait partie des destructions de la Révolution, ou bien de celles de la guerre 1939-1945 [5] ? En fouillant l’histoire de Saint-Malo, on apprend que la chapelle Saint Thomas se situait, indépendamment de la Cathédrale, sur la place du même nom – aujourd’hui place Chateaubriand – près de la tour, de la rue et la porte du même nom. La chapelle aurait effectivement été un lieu de pèlerinage des marins et aurait abrité jusqu’à la Révolution de nombreux ex-voto, parmi eux le tableau votif de 1661aurait été cité. La chapelle sera condamnée en 1792, puis désaffectée, les ex-voto seront brulés le 9 mars 1794, par contre le tableau aurait, semble-t-il, été conservé dans Saint-Malo jusque vers 1830 ! La chapelle par la suite sera démolie en 1879 pour permettre l’agrandissement de l’Hôtel de France et de Chateaubriand …

 

Ce fait exceptionnel et rarissime d’un animal géant s’attaquant à un navire malouin mit toute la Ville en émoi ; il eut un grand retentissement, au point d’être régulièrement repris par la suite dans les récits maritimes, y compris en littérature :

 

En 1701, un prêtre italien transcrivit pour la première fois une description de monstre marin : « On nomme Kraken un poisson démesuré, de figure plate et ronde, pourvu de nombreuses cornes ou bras à ses extrémités ; au moyen de ses cornes, (...) il enserre les petits esquifs des pêcheurs et tente de les faire submerger ».

 

En 1786-87, Louis O’Hier de Grandpré (Saint-Malo 1761 - Paris 1846) voyage sur les côtes d’Afrique occidentale ; il en rapporte un long récit sur cette partie de l’Afrique, publié à Paris chez Dentu en 1801 en deux volumes, mais à vrai dire, pas d’histoire de poulpe avec de précédents malouins dans la région ; par contre, Grandpré sera cité plus tard par Montfort, ci-après, pour lui avoir certifié, apparemment de vive voix, l’existence de ces poulpes monstrueux sur les côtes de l’Angola ; « le fait était incontestable, entièrement avéré et jamais on ne l’avait révoqué en doute » avait-il dit .

 

En 1804, l’ampleur de l’évènement sera vraiment insufflé par Pierre Denys de Montfort (Dunkerque 1766 - Paris 1820) [6] qui publie en 1804 une « Histoire naturelle, générale et particulière des mollusques, animaux sans vertèbres et à sang blanc » - 4 volumes, Paris 1801–1804, comprenant une description encyclopédique détaillée des mollusques.

 

Au cours de ses recherches de naturaliste, Denys-Montfort s'intéressa aux témoignages au sujet du kraken et des pieuvres géantes signalées à travers le monde ; en 1802, il a reconnu l'existence de deux types de poulpes géants : un premier type, le kraken-pieuvre, a été décrit par les marins norvégiens et baleiniers américains ainsi que les anciens écrivains comme Pline l'Ancien [7] ; un deuxième type de bien plus grande taille, l'immense poulpe, aurait, dit-il, attaqué un bateau à voile de Saint-Malo, au large de la côte de l'Angola, ainsi que le montre l'illustration de l’ouvrage, voir ci-après, qui était en fait une copie de l’ex-voto de Saint-Malo, un dessin réalisé par l’auteur repris dans son ouvrage au moyen d’une gravure de Etienne Voysard [8] . Monfort certifie lui-même avoir copié son dessin d’après l’ex-voto original. Le cryptozoologue Michel Raynal prétend que Denys de Montfort n’a jamais vu l’ex-voto en question. Il l’a recréé mentalement d’après son idée reçue qu’il s’agissait d’un poulpe, et réalise donc de son propre dessin d’un poulpe commun, un copier-coller avant la lettre ! » [9] .

L’illustration en question deviendra tout de même l’image emblématique du kraken.

Malheureusement, inclure dans une œuvre réputée scientifique, une telle illustration, représentant l’attaque d’un navire par un poulpe géant au large de l’Angola, suscita le rejet unanime de la communauté scientifique et discrédita l’auteur à vie [10] . Celui-ci avait, a-t-on dit, donné ainsi une version tout à fait personnelle et des plus emphatiques de l'incident [11] .  

 

En 1830, Alfred Tennyson, sans doute inspiré par Denys de Montfort, publie un poème intitulé The Kraken (essentiellement un sonnet irrégulier), qui diffuse l'histoire du kraken en anglais. Le poème, dans ses trois dernières lignes, porte également des similitudes avec la légende du Leviathan, un monstre marin, qui doit remonter à la surface à la fin du jour.

 

En 1857, l’existence du calamar géant est enfin prouvée ; l’épisode qui marqua un tournant dans l’histoire de ces calamars se produisit en 1861, lorsque le navire français Alecton se trouva confronté à un céphalopode de 6 m de long au nord-est de Ténériffe, dans l’Atlantique. Son commandant, le capitaine de frégate Frédéric Bouyer, relata cette rencontre dans un rapport qu’il soumit à l’Académie des sciences [12] .

 

En 1866, Victor Hugo dans « Les Travailleurs de la mer » [13] met en scène un combat du jeune pécheur de Guernesey Gilliatt contre une pieuvre – animal dont le mot est introduit dans la langue française par l’auteur : «  La pieuvre n'a pas de masse musculaire, pas de cri menaçant, pas de cuirasse, pas de corne, pas de dard, pas de pince, pas de queue prenante ou contondante, pas d'ailerons tranchants, pas d'ailerons onglés, pas d'épines, pas d'épée, pas de décharge électrique, pas de virus, pas de venin, pas de griffes, pas de bec, pas de dents. La pieuvre est de toutes les bêtes la plus formidablement armée. Qu'est-ce donc la pieuvre? C’est la ventouse. »

Victor Hugo citera dans ses sources Pierre Denys de Montfort ; il nous rappelle : Denis Montfort prétendait que le poulpe des hautes latitudes est de force à couler un navire, alors que Jean Baptiste Bory de Saint-Vincent (1778-1846) le nie, mais constate que dans nos régions il attaque l'homme.

En fait, au réel, Hugo ne se situe pas dans le gigantisme animal ; l’auteur découvre les pieuvres sur les plages de Guernesey, lors de son exil [14] . On lira dans un journal de bains de mer : « Le poète a transporté un de ces géants dans les flots de la Manche. Il connaissait sans doute l’histoire miraculeuse des matelots de Saint-Malo. C’est une légende, c’est une fiction, il est bon de le dire aux baigneuses craintives. » [15]

 

En 1869-70, Jules Verne dans « Vingt mille lieues sous les mers » s’inspire des travaux de Denys de Montfort et de l’histoire vécue en Angola. L’existence de l’ex-voto de Saint-Malo est citée à la page 289, mais il s’agirait d’une légende ; malgré tout, il s’en inspire pour écrire son combat du Nautilus contre des calamars géants :

« Devant mes yeux s’agitait un monstre horrible, digne de figurer dans les légendes tératologiques. C’était un Calmar de dimensions colossales, ayant huit mètres de longueur. (...) Son corps (...) devait peser vingt à vingt-cinq mille kilogrammes. Tout à coup, le Nautilus s’arrêta. (...) deux autres bras, cinglant l’air, s’abattirent sur le marin (...) et l’enlevèrent avec une violence irrésistible. L’infortuné était perdu. Qui pouvait l’arracher à cette puissante étreinte? »

Les illustrations de « Vingt mille lieues sous les mers » seront assurées par Edouard Riou (1833-1900) avec 24 illustrations puis Alphonse de Neuville (1835-1885) avec 86 illustrations ; Edouard Riou originaire de Saint-Malo, initialement pressenti, ne sera pas retenu pour la suite des illustrations, de même que pour celles du « Tour du Monde en 80 jours », sans doute par manque de temps ou par retard dans ses livraisons …

 

En 1896, Armand Dubarry (1836-1910) précise dans « La Mer » page 126 : « On a traité de fables les récifs relatifs à ces céphalopodes d’une dimension démesurée aperçus au large ou près des côtes par des pêcheurs ; on sait à présent que le scepticisme n’est plus de saison sur ce point, la plupart des muséums importants d’histoire naturelle possédant des fragments de poulpes ayant appartenu à des individus de taille extraordinaire, et cent relations de navigateurs dignes de créance établissant l’existence de pieuvres énormes qui, de temps en temps, quitteraient leur domaine ténébreux pour marauder à la surface de l’eau. »

Pour preuve, Dubarry cite quatre exemples :

-        Le 2 décembre 1860, entre Madère et Ténériffe, déclaration du commandant de l’aviso l’Alecton, M Bouyer,

-        Une goélette dans le golfe du Bengale au large de Madras,

-        Le 28 octobre 1873 dans la baie de Conception à Terre Neuve, déclaration du pêcheur Théophile Picot,

-        Le 11 septembre 1876, au large de la presqu’ile de Malacca, déclaration du commandant du steamer Nestor de Liverpool, John Keller Webster,

« N’en est-ce point assez pour établir que l’Océan nourrit des monstres sur lesquels on n’a que des données imparfaites ? » conclue-t-il.

 

Dans le numéro du 1er janvier 1900 de la revue « Le Tour du Monde » de Edouard Charton, page 277, le capitaine d’Ollone, en mission en Afrique, évoque les poulpes, encore à cette date très prudemment, de la façon suivante : « Au risque d’exciter les railleries, la vérité me force à dire un mot d’une bête fabuleuse : c’est une sorte de poulpe qui existerait dans le Niger. Woeffel nous aurait raconté que , près de Siguiri, il avait entendu sortir du fleuve un mugissement singulier, et que les indigènes interrogés lui avaient décrit un poulpe comme en l’étant l’auteur. Nous avions, je l’avoue, attaché peu d’importance à ce récit. Or, deux fois couchant sur les bords du Niger, nous avons entendu la nuit un grondement grave et puissant sortir de l’eau, et à nous aussi chaque fois des hommes différents ont décrit un poulpe. Nous nous gardons bien de dire qu’il existe réellement, nous affirmons seulement qu’il y a un animal dont le cri ne ressemble à nul autre, et que les indigènes dépeignent comme un poulpe. »

Une note rattachée à ce passage suggère un rapprochement remarquable à faire avec le journal « Le Temps » du 23 août 1900 qui, sur un ton moqueur, relate selon un lieutenant belge que, d’après les indigènes, il y aurait des poulpes dans un affluent du Congo et que deux de ses hommes auraient été dévorés par l’un d’eux. L’annotateur ajoute qu’il est peu probable que les indigènes du Congo et du Niger se soient entendus pour inventer ce même animal, dont l’existence dans la mer est à coup sûr ignorée d’eux ; les soudanais l’appellent « guidiara » ou lion d’eau, à distinguer du lamantin ou « ma ».

Plus loin, dans la même revue, page 388, Adrien de Gerlache dans « Quinze mois dans l’Antarctique » nous explique que les phoques se nourrissaient uniquement de grands poulpes géants, et que chose curieuse, il n’avait jamais vu de ces céphalopodes ; alors, se disait-il, où donc cet animal va-t-il les chercher ?

 

Le XIXème siècle est donc, concernant notre thème de discussion, resté longtemps perplexe ; Denys de Montfort avait ouvert très rapidement la voie de l’admission au principe de l’existence des grands animaux ; la photographie en tant que preuve formelle permettra sans doute de clore cette très longue période d’incertitudes.

Désormais, nous pourrions nous pencher vers d’autres interrogations ; par exemple :

-        Quel a été le rôle des Muséums d’Histoire Naturel dans la découverte des grands animaux marins : diffusion immédiate par soucis d’information et de transparence ou au contraire mise en réserve des preuves et témoignages par crainte d’une quelconque polémique ? …

-        Concernant l’évènement en Angola, faut-il voir avec la survenance du poulpe géant, une emprise symbolique de la nature sur l’homme, et aussi la réprobation de l’une de ses activités réputée néfaste ? Ce point pourrait paraitre très actuel, mais n’était-il pas déjà en germe lors de la confection de l’ex-voto, dans sa conception même, au moyen de la dimension donnée à l’animal ? … Je laisse pour finir ces questions à vos méditations ….

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Illustration de l’incident en Angola survenu vers 1660,

tirée de « Histoire naturelle des mollusques » de Pierre Denys de Montfort - 1801

 

Dessins d’un poulpe commun par Denys de Montfort, gravés par Voysard - 1801

 

Dessin du poulpe géant rencontré par l’Alecton en 1861

 

 

Le poulpe géant – gravure sur bois de Edouard Riou (Saint-Malo 1833 – Paris 1900) d’après un croquis de M. Rodolphe – parue dans la revue « Le Tour du Monde » de 1866 en accompagnement d’un article sur la Guyane

Image illustrative de l’article Les Travailleurs de la mer

Victor Hugo – Pieuvre – 1866

 

 

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Le Calmar dans Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne 1870 -

« Sept bras sur huit avaient été coupés, un seul, brandissant la victime comme une plume, se tordait en l’air. »

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Depuis le Nautilus du Capitaine Nemo

 

Conclusion :

Comme Saint-Thomas, l’homme reste dubitatif lorsqu’il ne voit pas, ne sent pas clairement et avec certitude un évènement maritime ou autre. Dans la logique, la 1ère question à se poser serait : la survenance d’un animal des mers de grande dimension a-t-elle vraiment eu lieu, oui ou non ? Si oui, quelle est alors la dimension de l’animal, quel est son poids ? A indiquer sans exagération bien sûr. Malheureusement le langage employé par les nombreux narrateurs et commentateurs de telles apparitions n’a pas toujours été aussi clair. On voit bien que le terme employé d’ « incident » revête un sens, cherchant vraisemblablement à minorer voire à nier l’évènement. Les nombreuses appréciations très diverses portant sur l’œuvre de P Denys de Montfort révèlent un certain désarroi de l’ensemble des communautés tant scientifiques que littéraires ou journalistiques. Nous retiendrons de cela que la terminologie employée pour décrire les faits est donc essentielle.

L’important pour nous était de faire remémorer cette affaire concernant Saint-Malo et l’Angola, de la redéployer dans toutes ses versions, sans a priori, avec toutes les précautions qu’il parait nécessaire aujourd’hui d’employer pour parler des histoires maritimes anciennes.

 

Plaidoyer pour une réhabilitation de Denys de Montfort :

Pierre Denys de Montfort (1766-1820) figure parmi les naturalistes français (il sera surtout un malacologue) [16] .

Outre son « Histoire naturelle, générale et particulière des mollusques, animaux sans vertèbres et à sang blanc » datant de 1801 à 1804, il avait fait paraître, de 1808 à 1810, une « Conchyliologie systématique : coquilles univalves, cloisonnées » ; cet ouvrage marque une étape importante dans la taxinomie des mollusques univalves ; il augmente considérablement le nombre de genres connus et en crée près de 129 nouveaux ; il fut l'un des premiers à s'intéresser aux coquilles extrêmement petites et même si sa classification supérieure au genre n’a pas été suivie, son rôle est important dans l’essor de la conchyliologie moderne.

Il s’intéressa également à l’apiculture et fit paraître en 1813 une « Ruche à trois récoltes annuelles, fortifiée, économique, et son gouvernement, ou Moyen de mettre les abeilles à couvert contre les attaques de leurs ennemis » ….

Malheureusement, ses publications sur les grands animaux marins seront censurés par la communauté scientifique ; il fut considéré par ses pairs comme un extravagant, et dut quitter ses fonctions pour ainsi tomber dans l’oubli et la pauvreté [17]

La seule affaire du poulpe de l’Angola et sa seule illustration ont-ils été l’unique raison de cette condamnation scientifique [18] ?

Finalement, comment aujourd’hui conclure cette histoire : seulement par le constat d’une reconnaissance tardive de l’existence réelle des grands animaux marins ou bien plutôt par la nécessité de réhabiliter Pierre Denys de Montfort, en le considérant comme un précurseur sur la pensée dominante de son temps ?

                                                                                                                        

                                                                                                             Y.D.F. novembre 2021

Sources :

-        Pierre Denys de Montfort (Dunkerque 1766 - Paris 1820) : « Histoire naturelle, générale et particulière des mollusques, animaux sans vertèbres et à sang blanc » - en 4 volumes, Paris 1801–1804, tome 2 pages xx à xx.

-        Georges Cuvier (1769-1832) : « Biologie et exploitation du poulpe Octopus vulgaris des côtes mauritaniennes » 1797 ; « Mémoires pour servir à l'histoire et à l'anatomie des mollusques » 1817.

-        Alcide d’Orbigny (1802-1857) « Histoire naturelle, générale et particulière des céphalopodes acétabulifères vivants et fossiles » : comprenant: la description zoologique et anatomique de ces mollusques, des détails sur leur organisation, leurs mœurs, leurs habitudes, et l'histoire des observations dont ils ont été l'objet depuis les temps les plus reculés jusqu'a nos jours / ouvrage commencé par MM. de Férussac et Alcide d'Orbigny, 1834-1848 -

-        Crosse et Fischer, dans le journal de Conchyliologie du 1er avril 1862 : « Nouveaux documents sur les Céphalopodes gigantesques » pages 124 à 140.

-        Armand Landrin (1844-1912) : « Les Monstres Marins » Paris 1870 – page 33.

-        Armand Dubarry (1836-1910) : « La Mer » Paris 1896 – pages 119 et suivantes.

-        Bernard Heuvelmans (1916-2001) : « Dans le sillage des monstres marins, le Kraken et le poulpe colossal » illustrations de Monique Watteau – Éditeur Plon (Paris) 1958 page 262 à 265 ; de lui également « in Wake of Sea Serpents » Edité par Hill and Wang, New York 1968 pages 55 et 56.

-        Laurier Turgeon (1954) : « Les Productions symboliques du pouvoir, XVIe-XXe siècle - Action judiciaire et production du pouvoir : faire croire au monstre marin de Guillaume Pottier (Bordeaux , le 27 octobre 1701) » Célat et Département d’Histoire, Université Laval au Canada – page 105 .

-        Barrère Florent : « Calmar géant, le poulpe colossal et l'énigme des abysses ».

-        Xabier Armendáriz, historien de la marine : « Kraken : le calamar géant qui a fait trembler les mers ».

 

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Le Kraken, légendaire monstre des mers – gravure du 19ème s

 

Poulpe à l’affut dans « Les Plages de la France » de Armand Landrin – 1879 -

 

Terminologie :

 

Calamar : aussi appelés calmars ou teuthides, de la famille des mollusques céphalopodes – espèces qui possèdent une tête et des bras. Comme les seiches, le calamar appartient au sous-ordre "Decabrachia" et possède donc dix bras – huit bras qui fonctionnent par paire ainsi que deux longs tentacules – et deux branchies. On trouve différentes appellations du calamar, qu’il s’agisse des chipirons au Pays basque, des supions en Provence ou encore des encornets un peu partout. Ce dernier terme fait référence à la coquille dorsale interne du calamar, qui a une forme cornée, que l’on appelle "plume". Ce reste de coquille interne s’appelle par ailleurs "os" chez la seiche.

Kranken : créature fantastique issue des légendes scandinaves médiévales. Il s'agit d'un monstre marin de très grande taille et doté de nombreux tentacules. Dans ses rencontres avec l'homme, le kraken serait capable de saisir la coque d'un navire pour le faire chavirer, le faisant ainsi couler et ses marins sont noyés et parfois dévorés.

Lamantin : Gros Mammifère herbivore aquatique au corps fusiforme, vivant dans les eaux côtières peu profondes de l'Atlantique tropical.

Octopus : genre de mollusques de l'ordre des octopodes - mollusques à huit bras -communément appelés pieuvres.

Pieuvre : Le mot "pieuvre" est un équivalant de poulpe : néologisme introduit dans la langue française par Victor Hugo dans son livre "Les travailleurs de la mer" ... emprunté alors au patois normand : « Si l’épouvante est un but, la Pieuvre est un chef-d’œuvre … »

Poulpe : de la famille des céphalopodes et à l’ordre des octopodes. Le poulpe a huit bras et un corps entièrement mou, à l’exception de son bec – le terme "poulpe" vient d’ailleurs du grec "polypus" qui signifie "plusieurs pieds".

 

Parmi tous ces animaux marins, quel est donc celui qui stoppa le navire d’Olivier de Kersauzon en pleine course lors du trophée Jules Verne de 2003 ?

 

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La Poste française prolonge notre histoire

Bloc Poulpes et calmars, création et gravure de Pierre Albuisson, impression taille-douce. 2020

 

Notes :



[1]  Dictionnaire universel de géographie maritime, ou Description exacte de tous les ports, havres, rades, baies, golfes et côtes du monde connu. Tome 1 page 111 - Auteur : Malham, John - Éditeur  :  Delalain fils (Paris) - Date d'édition :  1803 - Traduit de l'anglais, refait presque en entier par Louis de Grandpré .

[2]  Les discussions par la suite iront bon train sur les possibilités ou non pour un poulpe de faire basculer un navire …

[3]  Concernant les preuves écrites, il n’y avait alors que les livres de bord des navires, les règles de l’inscription maritime ne feront leur apparition qu’en 1668.

[4]  Certains prétendent que le vocable proviendrait de Thomas de Cantorbéry assassiné en 1170 ...

[5]   D’après Bernard Heuvelmans, l’ex-voto aurait brulé lors de la dernière guerre ! Le cryptozoologue Michel Raynal cite également les bombardements alliés de juin-juillet 1944 .

[6]    Pierre Denys de Montfort ( 1766-1820), dénommé Denys-Montfort pendant la Révolution.

[7]   Un passage de L'Histoire naturelle du romain Pline l'Ancien (Ier siècle) narre le cas d'un monstre marin à tentacules attaquant des réserves de poissons en saumure. La description correspond tout à fait à celle du kraken.

[8]  Etienne Voysard (1746-1807) graveur à Paris ; concernant la Marine, il est l’auteur d’un Combat entre les frégates la Surveillante et le Québec à Ouessant en octobre 1779 et également d’un Combat de la Hougue, d’après l’estampe de Woollett de 1781.

[9]  Pour compléter l’enquête, il faudrait rechercher si l’entrevue de Ohier de Grandpré et Denys de Montfort a bien eu lieu !!!

[10]  Source : « Kraken : le calamar géant qui a fait trembler les mers » par Xabier Armendáriz, historien de la marine.

[11]   On ne parle plus d’évènement exceptionnel mais seulement d’un incident.

[12]  Voir Les Trois règnes de la nature : lectures d'histoire naturelle / recueil publié sous la direction du Dr J.-C. Chenu - Éditeur :  (Paris) - Date d'édition :  1864-01-16 – page 22

[13]  Les Travailleurs de la mer tome III, le combat page 33, le monstre page 83.

[14]  Hugo y fera une erreur anatomique en prétendant que le poulpe n’avait pas de bec …

[15]  Journal des baigneurs chronique des bains de mer et des eaux thermales du 23 août 1866 – Paris et Dieppe - article de P-J F « Victor Hugo, la pieuvre et la baigneuse »

[16]   Cross et Fischer tiennent des propos négatifs sur Montfort, « les exagérations évidentes de Montfort » dira le docteur Chenu ; par contre, « un naturaliste maudit » dira Heuvelmans.

[17]  Cuvier constate et déplore sa mort dans les rues de Paris vers 1821.

[18]  Dans « Plantes et Bêtes: Causeries familières sur l'histoire naturelle au bord de la mer », de Jules Pizzetta, pseudonyme de J-P Houzé en 1894 : « Denys de Montfort a reproduit cette histoire bouffonne en y ajoutant un dessin représentant ce lamentable évènement, bien plus digne de figurer sur le tableau d’un saltimbanque que dans un ouvrage sérieux » !