L’exode des reliques chrétiennes

face aux invasions vikings

 

 

On ajouta une supplication dans la litanie des saints :

 «  De la fureur des Normands, délivre-nous Seigneur ! »

 

Les reliques chrétiennes

Les reliques avaient un rôle important pour rassembler les chrétiens et véhiculer leur foi, également pour le prestige de l’endroit ; chaque église a besoin de sa relique, chaque évêque veut, pour son diocèse, des reliques ; abbayes et monastères en réclament ; les rois, les papes en recherchent pour la plus grande gloire de Dieu, et un peu pour la leur …

 

Une anecdote : lors de la fondation de l’abbaye du Mont Saint-Michel en 708, deux moines font le voyage à Rome pour rapporter des reliques à l’abbaye ; à leur retour, ils ne reconnaissent pas les lieux : le grand raz de marée de mars 709 aurait envahi l’ensemble de la baie ainsi que la forêt de Scissy ; le témoignage de ces moines sera le point de départ d’une sorte de légende … lire à ce sujet l'abbé François Manet (1764-1844) dans « De l'état ancien et de l'état actuel de la baie du Mont-Saint-Michel et de Cancale, des marais de Dol et de Châteauneuf » aux éditions Everat à Paris en 1839.

 

Les invasions vikings

·         En Bretagne

Les raids vikings eurent lieu à partir du 8ème siècle jusqu’au 10ème s ; en provenance soit du Danemark, soit de Norvège, ils s’installèrent dans toute l’Europe septentrionale, en Normandie mais aussi en Bretagne, à partir de 820, surtout dans la région de Nantes et puis celle de Saint-Malo.

 

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En 820 puis 830, les attaques sont portées sur Noirmoutier (814, 819 puis 824, 830, 835) qui devient une vraie base viking, l’abbaye est finalement incendiée en 846 ; 843, pillage de Nantes et de sa cathédrale ; en 847, l’église abbatiale du Mont-Saint-Michel est saccagée ainsi que l’abbaye de Déas en Vendée où s’étaient réfugiés les moines de Noimoutier…

Gurwant, comte de Rennes, prit la défense de la région vers 870 ; également Alain Le Grand ; les invasions vikings reprennent après le décès de ce dernier en 907 ; une grande assemblée des moines de Bretagne eut lieu à Léhon et un exode massif est organisé, des moines et des reliques ; ; celles de Saint Samson de Dol sont recueillies à Saint Symphorien d’Orléans. L’abbaye de Léhon sera pillée vers 910, les moines ayant emporté à Paris les reliques de Saint-Magloire ; l’abbatiale de Landévennec est détruite en 913 ; nouvelle prise de Nantes en 919 ; Saint Melaine de Rennes est pillé en 920 ; l’abbaye Saint Baptiste de Gael également où les moines sont contraints de fuir en emportant les précieuses reliques de saint-Méen et de saint-Judicaël , celle du Mont Saint Michel est alors curieusement épargnée …

Alain Barbetorte reprend le combat contre les vikings ; en 936, il est victorieux au camp de Péran ; en 937, il prend Nantes et chasse les envahisseurs; en 939, la bataille de Trans conduit à l’expulsion définitive des vikings de la Bretagne.

 

Les invasions vikings de la Bretagne reprennent après le décès du roi ? Alain le Grand en 907 ; cette période dure de 910 à 930 ; l’abbatiale de Landévennec est détruite en 913 ; Saint Melaine de Rennes est pillé en 920 ; les moines s’enfuient en emportant leur reliques ; les moines de Redon notent : « L’an 920, les Normands dévastèrent toute la petite Bretagne, les bretons étant soit chassés, soit tués. Alors les corps des saints qui étaient en Bretagne furent emportés dans différentes régions » . Alors, une grande assemblée des moines de Bretagne eut lieu à Léhon et un exode massif est organisé, des moines et des reliques.

 

•       En Normandie

Pendant ce temps-là, en Normandie, Jumièges est pillée en 841

en 911, les Normands échouèrent devant les murs de Chartres, derrière lesquels le clergé du lieu portait en procession la sainte tunique de la Vierge Marie

Mais Rollon se fait chrétien ; par le traité de Saint Clair sur Epte du 11 juillet 911, Charles le Simple abandonne à lui et aux siens les territoires avoisinants la Basse Seine ; appelés comté, ils deviendront duché sous Richard II.

 

Hrólfr, chef viking

Rollon à Rouen

 

 

L’assemblée de Léhon

Donc vers 920, eut lieu un rassemblement des reliques et des moines à Léhon, par crainte des invasions normandes. Une assemblée, présidée par Sauveur, évêque d'Alet, décide de mettre les reliques à l'abri.

Quand ce fléau des invasions normandes, attaquant de tous côtés la Bretagne, fut à la veille de la submerger comme un déluge diabolique, on vit, vers l'an 920, on vit de tous les points de la péninsule les prêtres et les moines accourir vers la frontière de l'est, portant les corps des vieux saints bretons, que leur premier devoir était de préserver, afin de ne pas laisser la nation bretonne privée de ses plus puissants protecteurs. Tous ces fugitifs, avant de prendre un parti, voulurent s'assembler, tenir un grand conseil, examiner ensemble la situation, voir enfin s'il était indispensable de quitter la Bretagne — la patrie — et de s'exiler en France ou en Angleterre pour assurer la conservation de leurs dépôts sacrés. Cette assemblée eut lieu au monastère de Léhon, sous la présidence de l'évêque d'Aleth, Salvator. Là se trouvèrent réunies pendant quelque temps les reliques les plus illustres et les plus vénérées de la Bretagne, pour le salut desquelles on allait tout à l'heure affronter les chances et les misères de l'exil. Si le lieu qui les abritait toutes ensemble avait été sans défense au point de vue militaire et sans fortification, il eut suffi d'une bande de Normands, jetée par l'orage sur la côte voisine, pour enlever à la Bretagne et anéantir d'un coup tous ces trésors de sainteté, auxquels on attachait tant de prix. On n'avait donc pu choisir pour cette réunion qu'un lieu bien remparé, bien défendu, offrant une sécurité complète. Ce qui implique dès cette époque l'existence d'une forteresse à Léhon.

 

Les différents trajets des reliques :

Beaucoup d’églises ou de monastères de Bretagne et du bas Poitou, sans cesse ravagés par les Normands, envoyèrent à cette époque [...] les reliques de leurs saints patrons à l’abbaye d’Ension, qui semble avoir échappé aux atteintes des pirates.

·      Saint Philibert à Noirmoutier en 846

Fuyant les incursions normandes, les reliques de saint Philibert accomplissent un grand périple qui a été relaté par Ermentaire de Noirmoutier, allant de Noirmoutier à Tournus (875) et  passant notamment par Cunault et Saint-Pourçain-sur-Sioule. Cette translation par les moines de Noirmoutier, qui donna lieu à plusieurs fondations et à de nombreuses dotations carolingiennes, a contribué à sa grande popularité.

Les reliques du saint sont de nos jours conservées dans le chœur de l'abbatiale Saint-Philibert de Tournus, à l'intérieur d'un reliquaire, œuvre de l'artiste Goudji. Elles ont malheureusement été profanées le 25 janvier 1998, le crâne du saint et deux de ses os ayant été volés.

·      Saint Samson à Dol

Les moines se réfugient en région parisienne

Que sont devenues les reliques du Saint ? Transférées à Paris – Saint-Barthélémy, Saint-Magloire puis Saint Jacques du Haut Pas ? à Saint Symphorien d’Orléans ? Une partie de ces reliques seraient revenues en Bretagne ? Que sont-elles devenues lors de la Révolution tant en Bretagne qu’à Paris ou à Orléans ? A la Roche Guyon ?

·      A Landévennec, les moines emportent les reliques de Saint-Guénolé à Montreuil sur mer en Flandre – d’où le nom de la paroisse actuelle -

 

·      Saint Mélaine de Rennes

 

·      Les moines de Rhuys et de Locminé se réfugient à Déols en Berry

 

·      A Redon, les moines partent vers 920 à Candé au nord d’Ancenis puis vers Auxerre et enfin à Saint Maixent au sud-est de Poitiers pour y laisser les reliques du saint qu’ils possédaient

 

·      A Léhon, vers 920-925, devant la menace normande, les moines décident de s'exiler à Paris avec les reliques de saint Magloire et y construisent une nouvelle abbaye sous le même vocable.

 

·      A Saint Méen Le Grand, à l’abbaye de Gael, les pillages occasionnés par les Vikings au cours du 10e siècle obligent les moines à quitter leur monastère. Ils emportent avec eux, les reliques de leurs saints et les manuscrits de leur scriptorium. Le Chronicon Britannicum rapporte qu’en 919, les reliques de saint Méen et de saint Judicaël roi de Bretagne prennent des chemins divergents. Celles de saint Méen sont transportées à l’abbaye de Saint-Florent (Maine-et-Loire), tandis que celles de saint Judicaël sont emmenées à l’abbaye d’Ension à Saint-Jouin-de-Marnes (Deux-Sèvres).  les reliques de Saint Méen et Saint Judicael

 

·      A Noirmoutier, la première descente viking date de 819 du temps de l’abbé Arnoul ; les moines se replient à Déas ; l’abbé Hilbod, successeur d’Arnoul fortifie l’abbaye à partir de 825 ; mais les vikings revenaient en masse : le 7 juin 836, les moines quittent définitivement l’abbaye en direction de Déas ; le sarcophage et les reliques de Saint Philibert sont transférés à Déas en passant par Beauvoir, Ampan, Challans, Paulx ; Les vikings rasèrent Noirmoutier en 846

 

·      A Déas l’abbaye de Saint Philbert de Grand Lieu ?

Les vikings rasèrent Déas en 847

Le sarcophage est encore aujourd’hui à l’abbaye de Saint Philbert de Grand Lieu, mais les reliques n’y sont plus. Les moines de Déas se réfugièrent à Cunault près de Saumur ; mais les vikings remontant la Loire, les moines partirent pour Messais en Poitou dans un domaine donné par Charles le Chauve en 854 ; puis en 871 pour Saint Pourçain en Auvergne dans une autre donation royale ; la dernère étape fut Tournus en Bourgogne dans le monastère Saint-Valérien, donné par Charles le Chauve en 875.

 

·      Au Mont Saint-Michel

À la mort de S. Aubert vers 725, son corps fut probablement placé dans un sarcophage de pierre, comme le voulait la coutume mérovingienne et, selon ses vœux, placé dans le chœur du Mont-Saint-Michel, la tête vers l’autel, les chanoines gardant son crâne et son bras droit comme reliques. Selon l’Introductio monachorum, le chanoine Bernier aurait caché les ossements d’Aubert dans les combles de sa demeure, près de l'oratoire primitif, lors du remplacement des clercs par les bénédictins en 966, peut-être pour protéger ces reliques des attaques des Vikings. Un second récit d'Invention de reliques ('Invention' signifiant 'Découverte'), De translatione et miraculis beati Autberti, explique que son corps aurait été retrouvé miraculeusement, entre 1009 et 1023, par l’abbé Hildebert Ier : ses moines auraient trouvé un squelette avec un crâne troué dans une cabane d'ermite7. Ce squelette fut placé sur un autel dédié à la Sainte-Trinité, dans la nef occidentale de l'église Notre-Dame-sous-Terre, ou bien dans l’abbatiale des bénédictins. Dès lors, les bénédictins vénérèrent ces reliques, dont un crâne perforé au niveau pariétal, identifié, selon la tradition populaire, comme la marque de la pression de saint Michel sur la tête d'Aubert par une réinterprétation du texte de la Revelatio8. Le crâne fut sauvé des affres révolutionnaires en 1792 par un médecin, Louis-Julien Guérin qui prit prétexte de sa qualité de médecin pour récupérer à des fins d'étude la relique du crâne. La paix revenue, il la restitua au clergé avranchais. Le reliquaire de son bras avait par contre disparu. En 1856, son crâne fut transféré à la basilique Saint-Gervais-et-Saint-Protais d'Avranches, où il est conservé depuis dans son trésor2.

 

·      Les reliques de Saint-Mandé arrivent en région parisienne – à Saint-Mandé -

les Normands ravageant les environs de Tréguier, en 878, le corps de saint Maudez, inhumé d’abord dans son oratoire par ses deux disciples Bothmaël et Tudy, fût emporté hors de Bretagne et déposé dans l’église de Bourges, où il est resté pour la plus grande partie, jusqu’à l’époque des ravages des Calvinistes. Le comte de Penthièvre, fondateur de l’abbaye de Beauport (diocèse de Saint Brieuc) obtint, dans la suite, de l’église de Bourges, le chef de ce saint et en enrichit une nouvelle abbaye, d’où il a été porté dans l’église de Plouezec (Côtes du Nord) qui le conserve maintenant. Il y a eu encore d’autres églises qui possédaient de ses reliques, et entre autres celle de l’abbaye de Sainte Marie de Paimpont au diocèse actuel de Rennes. L’ancienne cathédrale de Tréguier en a aussi une portion assez considérable.

Dans le IX° ou X° siècle des religieux bretons du pays de Dinan portèrent à Paris quelques unes des reliques de saint Maudez et ils y bâtirent très près de Vincennes , sous son invocation, une chapelle qui dans la suite devint un prieuré dépendant de l’abbaye bénédictine de Saint Magloire de Paris. On conserve encore dans cette chapelle , devenue église succursale depuis la Révolution, un os d’un bras de saint Maudez.

 

·      En Normandie, le Précieux-Sang de Fécamp

 

 

 

Saint-Antoine-l’Abbaye, trésor de reliques

 

La grande peur de l’an mille

Lors de la grande peur générale de l’an mille, des prédictions émises sur l’imminence de la fin du monde se voyaient souvent cautionnées par des évènements particuliers : les invasions vikings, dont nous venons de parler,  par leur ampleur et peut-être leurs atrocités, coïncidèrent aux évènements pour leur donner une plus grande portée ; il a été dit que la grande peur n’aurait été aussi profonde et aussi désespérée qu’à cause des normands ; Jean de La Varende (1887-1959) évoque cette période ainsi que le rôle des normands dans ces croyances de la fin du premier millénaire …

Les décennies qui suivent les peurs de l'an Mille voient un renouveau du culte des saints et des reliques qui sont particulièrement développées lors de la convocation des assemblées de paix tandis que les inventiones de reliques sont souvent réalisées à des moments cruciaux pour les communautés monastiques ou cathédrales, leur permettant de « sortir de difficultés financières, de réaffirmer le pouvoir d'un évêque, de défendre le bien-fondé d'une réforme, etc. »33.

 

Le renouveau des reliques en l’architecture et lors des croisades

Les reliques vont souvent restées là où l’on a voulu les protéger, leurs endroits d’origine ayant été souvent détruits et long à reconstruire ; elles avaient un rôle important sur les rassemblements des chrétiens et sur leur foi.

Il fallut trouver d’autres supports : on les obtiendra trouvera dans l’art de construire ou reconstruire dans les deux styles successifs, roman puis gothique, le culte des saints et de leurs reliques sera à l’origine de deux innovations architecturales, le déambulatoire et la crypte ; il y aura aussi dans l’apport de nouvelles reliques en provenance des croisades …

Byzance les avait découvertes, conservées et peut-être même fabriquées; Venise et les grandes cités marchandes italiennes à sa suite, les importèrent et les commercialisèrent. Le sac de Byzance lors de la IVe croisade, en 1204, n’eut pas d’autre cause que celle de s’emparer de ses richesses et tout particulièrement, de ses reliques.

 

La conservation actuelle des reliques

Lors de l’incendie de Notre Dame de Paris, il y eut le sauvetage de deux principales reliques : la couronne d’épines du Christ, la Tunique de Saint Louis et les parcelles de la Vraie-Croix. Tandis que celles conservées dans le coq de la flèche de Notre-Dame (une parcelle de la sainte couronne, des parcelles des restes de saint Denis et saint Geneviève) ont disparu dans l’effondrement du toit et de la charpente. Le reste du trésor, conservé dans un bâtiment au sud du choeur, semble avoir été préservé de l’incendie.

 

Quelques questions subsistent :

·      Les raids vikings ont-ils visés spécialement les édifices chrétiens avec leurs reliques ou bien autant les édifices civils de l’époque ?

·      La revente par les vikings à prix d’or des reliques chrétiennes était-elle une réalité ou plutôt un mythe ?

·      Quelle fut la portée exacte du trafic des vraies ou fausses reliques, de la simonie ?

 

Sources :

·      « Aperçu sur les reliques chrétiennes » par Françoise Biotti-Mache Dans « Études sur la mort » 2007/1 (n° 131), pages 115 à 132

·      « Notice sur Saint-Philibert » par le père Pierre Le Cabellec – imprimerie Auréenne à Auray – 7ème édition 2017

 

NDLR : Les termes « viking » et « normand » sont souvent utilisés de façon variable par les auteurs ; à notre niveau et pour ce qui concerne la Normandie, nous avons adopté le terme « viking » pour toute la période antérieure au traité de Saint-Clair sur Epte – 911 – et le terme « normand » par la suite.