Les fermes agricoles d’autrefois en Pays de Caux

 

Le Pays des Calètes ou Pays de Caux est situé entre la Seine et la mer [1] ; il est formé d’un grand et haut [2] plateau fertile entaillé de nombreuses rivières se dirigeant toutes vers la mer [3] ; il était autrefois couvert de forêts, comme la forêt de Fécamp[4], qui seront défrichées pendant tout le Moyen Age.

Par l’effet de l’homme, le paysage a été totalement modifié en faveur de l’élevage et de la culture, au moyen tout d’abord de clairières puis de champs ouverts (openfields) comme dans les autres plaines de Caen, du Neubourg ou d’Alençon etc … Seules les vallées ou valleuses ont conservé un paysage d’herbages bocagers avec des boisements de taillis sur les versants.

Sur le plateau, la pluviométrie est au-dessus de la moyenne et puis le vent dominant venant d’ouest est dit « du premier jet » ; l’homme doit s’y acclimater et pour se protéger, il aménage son habitat dans des cours dissimulées et enfermées derrière des rangées d’arbres plantés sur talus ; les constructions à usage d’habitation et aussi animalier sont disposées dans cet enclos d’une façon souvent judicieuse pour tenir compte de la configuration des lieux, aussi de l’orientation, la fonctionnalité et également de l’hygiène ; les hommes et leurs animaux vécurent ainsi pendant plusieurs siècles et cela jusqu’aux temps modernes ;

Aujourd’hui l’agriculture et l’élevage ont changé ; en quelques dizaines d’années, les fermes de 20 hectares environ en moyenne de surface agraire en font désormais 100 ; le matériel agricole [5] et la mécanisation ont remplacé la main d’œuvre qui a dû se résigner à l’exode vers les villes ; deux corps de ferme sur trois ont perdu leur affectation d’origine ; chaque commune qui comprenait une bonne dizaine de « cultivateurs » ne compte plus aujourd’hui que deux ou trois « agriculteurs-exploitants »[6] ; les talus plantés ont d’une façon générale été préservés grâce aux obligations des règles d’urbanisme [7] et aussi grâce aux subventions en faveur de la replantation [8] .

La vision générale du plateau reste plutôt belle, la vue est toujours dégagée avec de ci de là, pour fermer l’horizon, des bouquets d’arbres formés par toutes ces cours masures ou encore par quelques bosquets ; la région est unique pour vous accorder après l’orage un ciel d’encre surplombant le jaune vif des colzas ou bien le bleu tendre des fleurs de lin ; les bâtiments agricoles modernes et fonctionnels en ondulé-fibrociment ou en bac-acier ont été maintenus derrière ces rideaux d’arbres ; les alignements le long des routes départementales ont disparu [9] ; les lignes électriques haute tension restent trop nombreuses [10] , les bassins de rétention se multiplient [11] ; et puis, il y a désormais les éoliennes. Les parcelles, de plus en plus grandes par suite des remembrements successifs, vous livrent selon la nature des cultures, un dégradé de vert qui vire au jaune paille au moment des moissons.

Les cours de fermes sont ainsi tantôt isolées, tantôt regroupées dans des hameaux, bordant de part et d’autre un chemin creux ; les parcelles d’exploitation entourent la ferme, les herbages au plus proches de la cour pour l’aller et venue des animaux entre l’étable et la pâture et puis les terres labourables plus éloignées ou aux meilleurs endroits, là où la terre est profonde.

La structure du paysage

Les grands défrichements forestiers du Moyen-Age se terminent au cours des 12ème-13ème siècles [12] ; les espaces libérés par la forêt sont remplacés à la suite par des enclos à moutons ; au 14ème-15ème, le pays de Caux est à feu et à sang[13] ; les cours plantées telles que nous les connaissons n’auraient été créées et implantées qu’à partir des 15ème et 16èmesiècles ; les explications sur les origines viking de ces cours sont vraiment incertaines ; de même pour ce qui a été dit sur les camps romains, car trop lointains dans le temps pour en être la continuité ; certains considèrent que par manque de bois et pour s’abriter du vent, l’un des enclos à moutons, celui que l’on allait habiter, serait entouré d’arbres ; les pommiers et le « sildré » ou cidre provenant de la Biscaye n’apparaissent dans notre région qu’au cours du 16ème siècle ; Colbert met fin au pâturage en forêt ; au 18ème, les règles d’assolement et l’adoption des cultures fourragères permettent de supprimer les jachères.

L’homme a été véritablement dévastateur des forêts primitives de notre région ; au tout début, il s’agissait seulement de vivre à la lumière, lui et ses animaux, dans les clairières et les essartages ; par la suite, il poursuivit assidument la consommation du bois pour ses propres activités de construction d’habitations ou de navires [14] , ainsi que pour le fonctionnement des forges [15] et des verreries, des fours à chaux ou à briques ; de ce fait et également, il voulut dégager des espaces pour développer la culture et le pâturage dont il avait besoin.

Le paysage, donc naturel à l’origine, devient construit ; l’homme l’a totalement adapté à sa façon et à ses besoins, mais en sachant tout de même préserver un certain équilibre du milieu avec une sage répartition entre le bois, la plante, l’animal et enfin l’homme.

L’association champs ouverts ou open-fields avec des cours plantées est originale, plutôt singulière et semble-t-il unique dans le paysage français [16], avec une apparence de contrastes mais au final une logique autour d’une activité autarcique pour satisfaire tous les besoins de proximité immédiate, avec en outre une organisation cohérente pour limiter les risques d’incendie ou d’épidémies tout en rationalisant les déplacements ;

Un certain équilibre 

Une exploitation agricole doit faire face à tous les besoins et à toutes les demandes ; concernant le bois, il faut une certaine production de bois d’œuvre et puis de bois de chauffage ; les talus plantés paraissaient suffire ; concernant les cultures, il faut un certain équilibre entre la partie herbagée et la partie cultivée ; avec l’essor de l’élevage et de la vache laitière normande, les prairies et herbages limités dans les débuts à l’intérieur de la cour se sont agrandis sur l’extérieur ; les parties cultivées trouvèrent leur équilibre par l’assolement ; la culture des plantes fourragères sert à l’élevage et comme une contrepartie, le fumier de l’élevage sert à l’amendement de la culture; l’homme ou plutôt le couple fermier préfère s’installer au centre de l’exploitation, et non pas en hameau ou au village, il est assez individualiste et puis il veut surveiller ; l’animal enfin est tout prêt de l’homme, à sa portée ; les espèces animalières elles ne se mélangent pas ; les fruits et légumes sont là car nous vivons ici en autarcie, l’eau également.

 L’équilibre longtemps parfait entre l’homme, l’animal et la nature se modifie avec le temps ; les changements apparaissent, les critiques aussi [17]; les agencements créés font partie de l’histoire mais aussi de la réalité actuelle car elles servent toujours, quotidiennement …

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La cour de ferme

La cour de ferme est une « cour bâtie et plantée », aussi dénommée « corps de ferme » ou « cour-masure » ou encore plus récemment « clos-masure » [18] , faite de constructions aux différents usages, en cour ouverte,  toutes dispersées, souvent en vis-à-vis et complétées en partie centrale d’une plantation de pommiers.

La circulation intérieure se fait depuis la route vers la maison en prenant l’entrée principale de la ferme, puis de la maison vers les bâtiments par un chemin bien visible du centre de la cour, enfin, des bâtiments, on accède aux champs par une deuxième entrée souvent à l’opposé de celle principale.

La surface de la cour était de l’ordre du dixième de la surface totale de la ferme, pouvant aller donc de un demi-hectare à trois ou quatre hectares pour les plus grandes …

Un talus planté forme le contour extérieur de la cour ; il est appelé couramment « fossé » ; on parle aussi de fossé saillant ou de fossé en élévation, parfois de levée ou banque de terre ; l’appellation serait venu du fait que c’est le pied extérieur du talus c’est-à-dire le fossé qui marquait la limite de propriété ; les dimensions sont de 1,5 à 2 mètres de haut ; en largeur autant : l’angle est d’environ 45° soit un mètre de base en plus par chaque mètre de hauteur…

Les arbres plantés dessus sont de haute futaie, souvent sur deux rangs en quinconce ; ils forment une sorte de rempart de verdure pour lutter contre le vent [19] et le froid, en faveur d’une sorte de « micro climat » favorable aux activités humaines et aussi à l’élevage ou à l’arboriculture [20] ; les arbressont très souvent des hêtres, autrefois il y avait aussi des ormes, les frênes sont parfois choisis comme résistant mieux au vent et à l’air marin ; parfois malheureusement on y plante des peupliers ;

Ces arbres constituent une ressource minimum nécessaire de bois

Le talus est précédé d’un vrai fossé destiné à diriger les ruissellements vers la mare ; les terres prélevées du fossé servaient à créer le talus ; la méthode était la même que celle des camps romains de sorte que l’on a pensé un moment faire remonter les cours masures à la période gallo-romaine

A l’intérieur de cette cour, la vie est intense ; nous sommes au siège d’une exploitation agricole …

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L’habitation : elle n’est jamais très loin de l’entrée, fait souvent dos au vent ou bien au nord, dos aussi au talus de protection, ne laissant qu’un simple passage derrière ; le devant est souvent exposée au sud ou à l’est, à regarder à la fois l’entrée et puis l’ensemble de la cour pour que du seuil de la porte, la fermière puisse tout surveiller.

Jusqu’au 18ème siècle, il s’agit d’une « longère » faite en pans de bois ou colombage couverte de chaume, construction toujours basse et parfois même encaissée comme pour mieux lutter contre le vent ; le bâti est simple, à faible profondeur, à développement en longueur selon l’axe de la faitière, de plain pied aux accès généralement en gouttereau sur la face sud, l’autre face nord étant souvent aveugle ; le rez de chaussée est formée de trois ou quatre pièces en enfilade et communicantes avec pour chacune une porte extérieure ; l’étage consiste en un grand grenier à grains avec accès par un escalier extérieur situé souvent contre le pignon est et couvert par une toiture en croupe dite en queue ou en cul de geai ; la couverture est en paille de blé ou de roseau d’une épaisseur de 30 à 33 centimètres ; mais peu à peu, le chaume disparait ; pour quelle raison ? Les incendies ou plutôt les réactions des compagnies d’assurance ou encore les réactions des pouvoirs publics, enfin la disparition du métier de chaumier, nul ne sait où se trouvent réellement la cause et les effets …

Au 19ème siècle, la maison est en brique à étage, sur plan carré avec distribution axiale, quatre pièces en bas, quatre chambres au premier, grenier au-dessus, toiture en ardoise, une cave partielle pour le cidre ; la brique d’une part et l’ardoise d’autre part apportent du confort et du sanitaire ; les pièces d’eau à l’arrière en appentis, l’arrière cuisine, la laiterie, les toilettes.

La maison du 19ème n’était parfois qu’une simple reprise en façade d’une maison plus ancienne, soit encore une maison nouvelle située plus au milieu de la cour ; elle était parfois la conséquence d’un incendie ou d’une grande vétusté des chaumes et des pans de bois.

En prolongement de la maison, il y avait souvent d’un côté le cellier, le pressoir ou le garage, et puis de l’autre l’escalier extérieur pour monter au grenier, protégé par un auvent, une « queue de geai ».

Un petit enclos protège le seuil de la maison et aussi le potager de l’approche des animaux de la cour ; ce potager donc juste devant ou sur le côté de la maison, fournissait pendant toute l’année les produits maraichers nécessaires pour que la ferme se suffise à elle-même.

La citerne recueillait les eaux de pluie en vue de l’arrosage et du lavage ; c’était la nouveauté des toits en ardoises que de pouvoir récupérer cette eau de pluie

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La construction en colombages ou à pans de bois

L’architecture vernaculaire classe nos fermes dans le type des « maisons-charpentes » , tout en structure bois ; les colombes ou pans de bois étaient des petites poutres en chêne, presque rondes et à peine équarries, posées verticalement et maintenues à chaque bout par deux grosses pièces horizontales, la sole en bas ou sablière basse et la sablière en haut ; l’écartement entre les colombages était de 20 à 30 centimètres ; les ouvertures des portes et fenêtres résultait de la coupe de deux ou trois pans remplacés par deux pièces horizontales servant d’appui et de linteau à l’ouverture ; aux angles de la constructions, des colombes obliques ou écharpe de décharge renforcent le bâti pour éviter qu’il ne puisse se losanger ; le contreventement qui permet la stabilité dans le plan horizontal et dans le plan des fermes est obtenu par des systèmes triangulés qui sont réputés indéformable, tels les croix de Saint-André ; l’ensemble de la structure-bois est posé à la base sur un mur-solin ou mur-bahut fait de pierres, briques et parfois silex destiné à protéger des remontées d’humidité, les poteaux d’angle reposent sur des pierres d’appui, souvent des grès de soutien ; le tout est bloqué par le haut avec des sommiers traversant parallèles, eux-mêmes tenus entre eux par un solivage servant de plafond aux pièces de vie et de plancher au grenier.

Les pans de bois sont hourdis de torchis ; celui-ci formait un remplissage ; composé d’argile malaxée et de paille hachée le tout appliqué sur une claie ou un lattis ; le plancher du grenier est couvert de limon ou terril.

Le mur exposé au vent et à la pluie était souvent essenté de bardeaux de bois extérieurs.

Au final, les matériaux utilisés sont isothermes de façon à mieux lutter contre les éléments, et aussi tous de provenance très locale, pour un meilleur approvisionnement et puis éviter les frais de transport, ce qui fait dire que la maison est le reflet de son environnement[21] .

Avec le temps, des variantes apparaissent, le colombage se complexifie et s’orne ; on assiste à un renforcement des poteaux d’angle et de soutien de sommiers, à des remplissages de briquettes ou de croix de Saint-André ; le meilleur usage des greniers exige des créations d’ouvertures, de lucarnes…

Et puis avec l’usure du temps ou selon les besoins, les reprises sont nombreuses et parfois difficiles à retracer aujourd’hui ; toujours refaites en matériaux durs voire récents, elles portent soit sur le mur de façade, soit sur le mur arrière, soit sur des extensions arrière ou latérale, soit sur des rehaussements de charpentes.

L’intérieur de la maison :

Les murs sont passés au badigeon de chaux blanc ou peints au vert d’eau ou plus récemment couverts de papiers peints, au plafond les poutres peintes « tête de nègre », au sol des tomettes en terre cuite ; les portes sont pleines et les fenêtres à petits carreaux ; le seuil extérieur de la porte principale est pavé

La cheminée principale donne sur la pièce de vie, la salle pour les plus grandes maisons, la cuisine pour les plus petites ; la chambre principale se situe souvent de l’autre côté de cette même cheminée.

L’ameublement consistait dans la salle commune une grande table dite de ferme un banc et parfois une bancelle en bout, un buffet, un vaisselier ou « faux palier » avec ou sans garde manger en partie supérieure, une horloge sur pied ; dans la chambre, un lit simple ou bien lit-alcove, une armoire, un coffre ou bahut, une malle ou mallette décorée [22] .

L’armoire normande est ici plutôt surchargée de sculptures, la corniche est surélevée en fronton ; les motifs courants sont les roses et les colombes se béquetant.

Les bâtiments d’exploitation :

La disposition des autres bâtiments est périphérique, tous séparés les uns des autres[23], alignés parallèlement ou en équerre sur deux côtés et toujours dos au fossé, tous orientés vers l’intérieur de la cour ; la dispersion est motivée tantôt par les nécessités de circulation, tantôt par les risques d’incendies ou d’épidémies ; le choix des implantations a souvent une logique .

Les étables sont plutôt en partie basse de la cour avec mangeoire d’un côté et rigole de l’autre qui évacuait les eaux sales jusqu’au fumier situé à l’écart devant ou sur le côté ; les veaux sont souvent mis à part ; une partie des étables sert désormais de stabulation et de laiterie. Les portes sont à deux battants superposés, dites « à causette » ; l’étage est desservi par une échelle droite scellée au mur, le « casse-cou ».

Dès 1836, il était indiqué : « Il serait plus avantageux d’isoler l’étable de tout bâtiment et surtout des écuries et des bergeries, comme on le fait dans le Pays de Caux. Leur voisinage peut entretenir une communication malsaine, particulièrement là où l’on ne fait les murs de séparation qu’avec de la terre… » [24]

La grange est plutôt en partie haute de la cour, d’assez grande dimension ; la porte d’entrée est souvent barrée d’un muret qu’il faut enjamber ; au centre un espace où l’on battait le blé au fléau, de chaque côté avec un étage partiel, des aires de stockage des gerbes, aujourd’hui des balles de paille.

Adossé à la grange, le manège où l’on faisait tourner plusieurs chevaux pour actionner une batteuse mécanique (longtemps ignorée en Pays de Caux - 2ème moitié du 19ème)

La charreterie ou logese situe près de l’entrée de la ferme, plus longue que d’ordinaire et ouverte ici sur deux côtés en vis-à-vis ; l’étage sert de grenier à grains,

Une remise pour le garage ou l’atelier, le poulailler pour la basse-cour, le four à pain…

Le pigeonnier au centre de la cour, à un endroit plutôt visible ; on parlait de colombier sous l’ancien régime, un droit réservé au seigneur ; il n’existe que dans les endroits autrefois « fieffés », dans les fermes « manoriales » ; il est souvent cylindrique avec un toit en poivrière ; souvent en pierre de taille à la base et en briques au dessus, manifestement décoré pour attirer l’oeil …

L’écurie, la bergerie, la porcherie et puis le four à pain vont petit à petit disparaître, avec la perte de l’usage.A la disparition dans la région de l’élevage des moutons, les bergeries furent souvent transformées en granges.

Les matériaux utilisés sont essentiellement locaux, par facilité mais aussi pour une meilleure intégration, une continuité avec le milieu naturel ; le solin est en matériaux durs : pierre du pays, silex taillé, grès ou brique, parfois en mélange avec surtout l’association de briques et de silex …

Le verger, appelé autrefois pépinière, forme un beau quadrillage de pommier à cidre, des hautes tiges[25], avec souvent en plus un cerisier ou un noyer à proximité des bâtiments, quelques poiriers en palissade contre la façade de la maison ou contre le mur qui parfois délimite et protège le potager

Les pommiers sont plantés en carrés, des pommiers à cidre, de haute tige ; les variétés du Pays de Caux sont : Antoinette, Binet gris, Furcy-Lacaille, Galopin, Grise Dieppois, Muscadet de Dieppe, Saint Nicolas ; ils procuraient la boisson de la maison pour toute l’année ; pour les pommes à couteaux, il y avait Reinette de Caux, Reinette de Dieppedalle, Belle du Havre, transparente de Boisguillaume, Pigeon de Rouen ; la plantation est toujours quadrangulaire, régulière et de même espèce, tous les 10 à 12 mètres ; le quinconce est évité contrairement aux arbres sur talus. 

En 1807, il y avait presque deux millions de pommiers dans le pays de Caux ; seulement 300 000 en 2003 ; dans les années 1950 [26], un plan de lutte contre l’alcoolisme est mis en place avec une subvention à l’arrachage, une autorisation nécessaire au-dessus de vingt arbres, une suppression du privilège des bouilleurs de cru.

La cour plantée est en réalité un modèle d’agroforesterie…

La mare, en partie basse de la cour, est aménagée pour être étanche et ainsi recueillir les eaux de ruissellement de la cour, des fossés et aussi de la route, hélas parfois polluée par le fumier situé à proximité

Une marnière a été creusée dans un coin de la cour ; la couche cultivable étant plutôt acide, il faut donc régulièrement la marner, c'est-à-dire épandre en surface ce qui est prélevé dans les couches inférieures en creusant des galeries d’extraction ; le travail est pénible mais utile ; l’extraction à ciel ouvert n’est pas toujours possible ; les cavités souterraines quel qu’elles soient font désormais l’objet d’un contrôle sérieux ; les galeries étaient en principe orientées vers l’extérieur de la cour en direction des champs, mais aujourd’hui on s’aperçoit qu’elles menacent parfois les constructions ; voilà donc une particularité malheureuse du Pays de Caux !

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Les animaux

Les animaux d’élevage : le mouton est présent dans notre région depuis toujours, ici plus qu’ailleurs, de façon plutôt intensive ;puis la vache laitière au cours du 19ème va le remplacer;  entre 1860 et 1900, le cheptel bovin a doublé d’importance, au détriment des troupeaux ovins et chevalins ; en 1860, il y avait en Normandie 550 000 moutons remplacés en 1970 par 700 000 bovins ; depuis 1980,  il y a régression, les effectifs ont diminué de 30% accompagnant  la baisse du nombre des animaux d’élevage. Les bovins sont soit parqués dans les herbages clos soit gardés au « tière » dans la cour.

La vache appelée « Cauchoise » a la tête blanche, la robe pie-rouge ; elle est marquée de sang flamand ; des croisements sont un moment tentés avec la vache anglaise Durham ; la race normande est seulement identifiée en 1883 : elle est issue de l’amélioration de trois races locales, la Cauchoise, l’Augeronne et la Cotentine ; elle est blanche avec des taches marrons, les yeux sont presque toujours dans une tâche marron.

Les animaux de basse-cour : la basse-cour représente un appoint non négligeable dans l’économie domestique ; l’élevage des poules, des canards et des oies est réservé aux femmes de la maison ; les œufs sont consommés à la ferme ou vendus au marché ; les poulets sont rôtis dans les bonnes occasions ; il y avait alors deux sortes de poules, celles de la petite enge et celles de la grande enge qui étaient communes en Pays de Caux ; la poule de Caux était de couleur noire

Le cheval de trait percheron ou boulonnais pour les travaux des champs, puis le cob normand pour tout attelage,ont depuis longtemps disparu avec l’arrivée de la mécanisation et l’apparition des tracteurs ; de même le taureau solitaire avec l’insémination artificielle.

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Les terres : « Au Pays de Caux, on ne fait pas de culture, mais du jardinage en grand »

On parle de terres de labours ou arables qui sont dites terres nues, terres écalées ou assolées ; ici, les sols sont acides ; ils sont également filtrants et très élevés au-dessus des eaux souterraines

Les prairies permanentes jouxtent la cour, pour faciliter les allers et venues des animaux par des passages ou xx ; le bétail ne rentre à l’étable que pendant les chaleurs, et pendant l’hiver, la nuit seulement ; ici en pays de Caux, le droit de parcours est inconnu ; chaque fermier envoie son troupeau sur son terrain ; la règle était de deux bêtes par arpent ; le foin permettait de doubler l’élevage des bêtes à cornes ; il y avait finalement assez peu de prairies, environ un dixième des surfaces et alors le trèfle complétait le fourrage ; le fermier doit fumer tous les trois ans les prés fauchables lorsqu’il récolte la première et le seconde herbe sans les faire pâturer.

A partir du milieu du 19ème siècle on observe un recul des labours et des céréales en faveur des prairies et de l’élevage bovin ; c’est ce qu’on a appelé le « couchage en herbe ».

Les terres et les limons sont profonds et riches, les couches argileuses retiennent l’eau en profondeur alors que le vent en sèche la surface ; elles sont acides et il faut donc leur apporter de la chaux procurée dans les sous-sols par les marnières[27] ; les différentes opérations sont le marnage, le paillage, le fumage… ; la région est propice à la polyculture, surtout aux céréales, aux betteraves et à la culture du lin ; il y a aussi le trèfle qui peut être ordinaire ou incarnat …

L’assolement est en général triennal, parfois biennal ; l’assolement triennal se divise en trois soles ou composts : 1ère sole : le blé ; 2ème sole : moitié avoine, moitié récoltes diverses (pois, vesce, lin, seigle, orge, pommes de terre, racines, trèfle incarnat, plantes fourragères) ; 3ème sole : moitié en trèfle ordinaire et moitié en récoltes diverses, colza et jachères ;les jachères deviennent de moins en moins en usage… L’assolement biennal comprend une 1ère sole en blé et la seconde faite de toutes les autres cultures ; quand il n’y a qu’une seule pièce de terre, on ne divise pas l’assolement, on l’alterne.

Le blé était semé au printemps, récolté en août, les fumures se font en septembre octobre ; il y a chaque année entre deux et quatre labours, selon que la terre était précédemment en jachère ou chargée de récolte, pour retourner, puis pour biner, pour enfouir le fumier, enfin labourer à grain ; chaque labour est suivi d’un hersage.

Le marnage des terres est en usage dans le département ; on l’emploie tous les vingt à vingt-cinq ans ; la quantité de marne à donner à l’hectare varie entre 200 et 400 hectolitres.

L’élevage et la culture sont également représentés, sans aucune prééminence ; dans la cour, nous avons côte à côte la grange et l’étable ; elles sont complémentaires ; le foin et la paille stockés dans la grange servent aux animaux de l’étable ;le fumier de l’étable sert à la fumure et à l’épandage des labours

La prairie artificielle prend le pas sur la culture céréalière 

A la fin de l’ancien régime, on assiste à une expansion de la prairie artificielle qui touche les vallées dès le 17ème siècle puis les plateaux au cours du 18ème ; le rendement du blé est alors très variable, de cinq à dix fois la semence, soit dix à vingt quintaux à l’hectare ; le recul des céréales provoque une diminution de la dîme revenant au clergé et perçue par les Chapitres ; l’expansion des prairies s’accompagne d’un accroissement des pommiers et poiriers et d’une production accrue en lait et en viande ; le lait était alors source de diminution de la mortalité infantile ; la viande était exportée vers Paris ; de sorte que l’exploitant, tout en échappant à un impôt, bénéficiait d’une meilleure rentabilité et d’un écoulement plus facile de ses produits.

La pratique de l’entièrement[28] 

Le tière est un mode de pâturage propre à la contrée mais que l’on retrouve aussi au Danemark, de sorte que l’on a pu imaginer une origine viking ; il est cité dès 1450 et 1556 et rappelé par le Dr Lannelongue dans ses notes descriptives sur la contrée de Valmont ; mettre des animaux au tière, c’est les enchainer au sol avec une ration alimentaire à portée d’herbes ou autres fourrages comme le trèfle incarnat, dépendant de l’endroit choisi, de la nature du pâturage et aussi de la longueur de la chaîne. Cette pratique durait 6 à 7 mois dans l’année, de avril à fin octobre, les animaux vivaient ainsi en plein air, de jour et de nuit ; on les changeait de place plusieurs fois par jour, dès que la pâture accordée avait été absorbée, au moyen de cercles successifs.

Les fermages : la région n’a en fait jamais connu le métayage ; le propriétaire n’est pas payé au moyen d’un certain pourcentage sur la récolte ; il est payé en monnaie, au moyen de deux termes annuels de fermage, fixé selon quatre denrées agricoles – blé, betteraves, lait et beurre, et réglé en francs en fonction de la valeur et du cours de ces dernières …

Les termes de paiement des fermages sont Pâques et Saint-Michel, soit 29 mars et 29 septembre ; parfois pour les herbages ou pour les terres écalées les termes sont Saint-Jean et Noel, soit 29 juin et 29 décembre.

Le bois ; en Pays de Caux, l’on disait couramment que les terres étaient trop bonnes pour y planter du bois ; derrière cette expression, se cachait aussi un sentiment toujours ancré que l’arbre fait de l’ombre aux plantations, il diminue et retarde les récoltes ; même le long des routes, les alignements seront longs à se mettre en place .

Une nécessité tout de même, le bois de chauffage en constituant une réserve de fagots, bourrées ou cotrets …L’usage voulait que pour les bois taillis compris dans une location, l’âge de la coupe soit égale à la durée du bail, souvent neuf ans et par neuvième chaque année.

Les plus grandes fermes, les propriétés possédaient souvent pour elles un bosquet, dans un coin de valleuse ou sur le plateau dans une fosse ou une ancienne carrière.

Et les hommes

L’aspect des fermes aujourd’hui nous laisse entrevoir l’activité d’un couple seul, mais avant la mécanisation, la population dans les fermes était nombreuse : la domesticitéétait tantôt attachée à la personne, ce sont les valets de pied, servantes, cuisinières, cochers, laquais, valets de chiens, valet de chambre, femmes de chambres, nourrices, bonne d’enfants, portiers, concierges ; et tantôt attachée à la culture, ce sont les charretiers, valets de charrue, garçons de ferme, hommes employés à l’année, bergers et bergerons, vachers, bouviers, servantes et filles de basse-cour, les triolettes[29], etc ; enfin, il y avait les journaliers, les marneurs, les batteurs en grange, les ouvriers spéciaux pour l’exploitation de la récolte, les moissonneurs, les valets d’août ou gens d’août, les faucheurs, les botteleurs, les cueilleurs de fruits …

De tout cela, il ne reste plus rien ; la population agricole a diminué de près de moitié de 1850 à 1900, remplacée par le progrès des techniques agricoles [30] .

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Les usages : le glanage consiste à ramasser à la main les épis des céréales dans les champs non clos ; il ne peut être exercé que par les indigents, le ratelage revient au propriétaire ou au fermier qui ne pourra envoyer ses bestiaux pâturer que 24 heures après l’enlèvement de la récolte, sous peine d’une amende en faveur des pauvres de la commune ; le droit de parcours ici n’existe pas ; il s’agit pour les habitants d’une commune d’avoir le droit de mener paître leurs bestiaux sur les terrains d’une autre commune ; la vaine pâture est le droit qu’ont les habitants d’une commune de mener paître leurs bestiaux sur le territoire de cette commune ; elle s’exerce du 14 septembre au 15 mars sur les terres dépouillées de leur récolte …

Dans les relations entre un bailleur et son fermier locataire, ce dernier doit le respect les sols et des saisons et donc ne pas rompre le cycle cultural ; il lui est interdit de dessoler et de desaisonner, et aussi d’accroître les terres couchées en herbe ; il doit l’entretien des haies et des fossés, avec obligation de supprimer les épines et autres ronces, d’échardonner et d’étaupiner ; par contre il a droit d’émonder ou d’élaguer les arbres ; il garde le bois mort pour lui mais doit replanter par de jeunes arbres ou chouquets, lesquels seront protégés contre les animaux ; les haies sont élaguées tous les six ans, les arbres fruitiers sont bêchés tous les trois ans ; les pailles provenant des biens loués doivent être utilisées en litière des animaux pour être converties en fumier…

Les règles juridiques aussi évoluent et puis les réformes s’accélèrent

Une question d’ordre juridique a été posée : quel rôle le droit a-t-il joué dans la structure physique, économique et sociale de ces fermes d’autrefois ? Le droit a-t-il été à l’origine de la mise en place de ces structures ou de leurs modifications, ou bien n’en a-t-il dressé que le constat ?

Ce que nous savons : les règles successorales ont changé avec le temps : sous l’ancien régime, le droit d’aînesse permettait de conserver l’unité de l’exploitation ; après le passage du code Napoléon, il fallait faire un testament pour avantager de la quotité disponible le fils repreneur ; certaines personnes affirment l’existence d’un lien direct entre l’apparition pendant la Révolution Française du partage égalitaire entre les héritiers et la baisse à ce moment-là de la natalité ; aujourd’hui, compte tenu de la durée d’activité et de vie des agriculteurs, ce n’est plus l’aîné mais plus souvent le dernier fils qui reprend et d’ailleurs celui-ci réclame désormais à la succession des parents un salaire différé pour avoir travaillé dans le passé à la ferme sans rémunération ; en plus de sa part d’héritage, la loi et donc les autres héritiers lui accordent une créance. Même si certains ne s’y retrouvent pas, au moins l’unité de la ferme est préservée ; tout cela est très important car il ne s’agit pas de diviser les exploitations par un partage alors que celles-ci pour être économiquement viable doivent au contraire augmenter de surface.

Le partage en nature des héritages résultant du code Napoléon a été, a-t-on dit, une « machine à hacher le sol », qu’il a fallu neutraliser par une loi de 1920 sur les remembrements ; le partage des biens successoraux en valeur - et non plus en nature – est apparu au cours du 19ème siècle par la jurisprudence des tribunaux confirmée par un décret-loi du 17 juillet 1938 [31] ; le salaire différé apparait lui par un décret loi du 29 juillet 1939, figurant désormais dans l’article L 321-13 du code rural.

Après le conflit 1939-1945 et malgré le plan Monnet, une longue crise secoua l’agriculture et la société rurale de 1953 à 1963 ; à la suite du statut du fermage et du métayage de 1945, il fallut mettre en place une « politique des structures » avec, sous ce nom, les lois d’orientation agricole de 1960 (loi d’orientation proprement dite) et de 1962 (loi dite « complémentaire », élaborée par Edgard Pisani) .

Enfin, depuis les années soixante, ce dispositif a été renforcé: loi sur la propriété sociétaire (GFA) en1970, amélioration du statut du fermage (1975 et 1984), mais surtout « volet foncier » de la loi d’orientation de 1980 (loi Méhaignerie) qui complète et précise la politique dite, stricto sensu, « politique des structures », puis, après l’échec du projet d’offices fonciers (1981-1982), la nouvelle et dernière loi sur les structures et le statut du fermage (loi Rocard).

           

L’industrie rurale

Au milieu du 18ème siècle, le filage de la laine, du lin et du coton se développe dans la région, aussi bien dans les villes que dans les campagnes, jusque dans chacune des fermes ; le travail était assuré par les femmes et les enfants, surtout pendant l’hiver, le rouet n’étant abandonné que pour les travaux des champs et pendant les moissons.

Par la suite, la filature en usine remplace celle domestique et donc ce travail abandonne les plateaux pour s’aligner le long des rivières qui procuraient la force motrice.

Le filage du lin se maintenait plus longtemps près des lieux de récolte dans les fermes et les villages des plateaux ; de même le tissage des toiles de coton fait encore à la main et à domicile ; au moins un quart des habitants des villages dépendait de l’industrie cotonnière ; le tissage était rémunéré à 20 sous la journée, alors que le filage l’était à 10 sous ; ces travaux formaient un complément indispensable à l’agriculture, de sorte que l’arrivée vers 1825-1830 du tissage mécanique provoqua une crise dans le monde rural, avec une migration presque forcée vers les usines des centres textiles de Bolbec ou Elbeuf.

Jusque dans les années 1870, chacune des fermes du pays de Caux possédait dans une pièce à part un ou deux métiers à tisser formant l’atelier de famille : un agent dénommé « porteur » passait régulièrement chercher les pièces confectionnées et remettre les « Chaînes » nécessaires au travail de l’ouvrière.

« Routine Paysanne » ou plutôt « Cycle infernal »

Au cours de l’ancien régime, le monde rural n’évolue pas, souvent frappé par les mauvaises récoltes, et aussi par les épidémies et les guerres ; la situation économique ne progresse pas, l’exploitant est tiraillé entre le rendement nécessaire et les risques de déboisement et d’appauvrissement des terres ; la réflexion portait alors surtout sur les règles d’assolement, de jachère et de fumure ; les traditions féodales d’une part, l’esprit de routine d’autre part et puis la pression fiscale provoquèrent les trois facteurs confondus des entraves sérieuses à l’avancement de l’agriculture.

Un premier élan survint à partir de 1750 avec l’école des Physiocrates, avecdes travaux d’assèchement et de défrichements, des publications sur l’agriculture, des recherches d’expériences et des tentatives de perfectionnements.

Le grand renouveau survient au 19ème siècle avec les progrès techniques sur la traction et la rotation grâce à la mécanisation et à la motorisation … ; il s’accompagne de nombreux soubresauts sur les prix, sur l’emploi et puis d’une migration générale de la main d’œuvre vers les villes ; tardivement, l’on s’intéresse aux apports chimiques et aux sélections des semences et des races animales ; par la suite, la productivité en demande toujours plus, de sorte que la routine d’origine fit place à une recherche véritable et continuelle de rendement.

Nous assistons encore aujourd’hui à un système de baisse continuelle des prix et des marges, compensée par une recherche continuelle d’accroissement de la productivité, ceci en utilisant tous les facteurs possibles de croissance, la mécanisation, les engrais et puis l’agrandissement des surfaces exploitées.

Les initiateurs de l’agriculture moderne

Après les guerres de religion, l’agriculture se relève sous l’administration de Sully ; le labourage et le pâturage sont dits les deux mamelles de l’Etat ; Sully protège les paysans contre les gens de guerre et les usuriers ; il prescrit l’assèchement des marais et fait planter des arbres le long des chemins.

Colbert aussi favorisa l’agriculture tout autant que la forêt ; il défendit de saisir les bestiaux pour le paiement des impôts et diminua la taille qui pesait sur les paysans.

Turgot est aussi à citer ; en 1776, il abolit les corvées et établit le libre commerce des grains

Les agronomes œuvrèrent également à l’encontre des nombreuses crises agricoles avec surtout  Olivier de Serres en 1600 et Henri Louis Duhamel du Montceau en 1750 ; et puis, citons encore tout spécialement :

Arthur Young (1741-1820) est un agriculteur et agronome britannique : auteur de nombreux ouvrages, il eut de son vivant une grande renommée. Visitant la France entre 1787 et 1790, à chaque étape de ses trois voyages, il fournit des renseignements importants sur les techniques agricoles de l'époque mais également sur la situation sociale du pays, sur le déroulement de la Révolution, sur l'état des routes et celui de la population, avec souvent des éléments de comparaison à partir son propre pays . Il est souvent consterné par l'aspect arriéré de nombreuses campagnes françaises ou encore par la distance ou le désintérêt d’une certaine noblesse française vis-à-vis du monde rural ; il passa dans notre région en août 1788 : à Rouen, Le Havre, Harfleur, Barentin – à travers abondance de pommes et de poires et un pays meilleur que la manière dont il est cultivé – Yvetot – qui est plus riche mais plus mal administré – Dieppe ; il jugea fort mal le Pays de Caux, ou du moins avec beaucoup de sévérité : « Le Pays de Caux qui possède un des meilleurs sols du monde avec des manufactures dans chaque chaumière offre une scène continuelle de mauvaises herbes, d’ordures et de misère ; son sol est si mal administré que s’il n’était pas naturellement d’une fertilité inépuisable, il y aurait longtemps qu’il serait entièrement ruiné … »[32] ; son « Voyages en France », publié en 1792, eut un retentissement important et stimula les autorités pour un renouveau des méthodes ; ses écrits marqueront les esprits ;la comparaison entre les deux pays, souvent en notre défaveur, aura un effet déclencheur de notre conscience collective ; le 19ème siècle dans son ensemble relèvera le défi avec ses avancées technologiques et puis une volonté de réorganisation.

L’abbé Henri Alexandre Tessier (1741-1837) est un médecin et agronome français ; nommé directeur de la ferme royale de Rambouillet où il introduit le mouton mérinos, il doit pendant la Révolution prendre un exil volontaire ; sous la Terreur, de juin 1793 à juillet 1794, il se réfugie à Angerville la Martel et se rend à Fécamp comme médecin de l’hôpital militaire, ville dans laquelle il rencontre Georges Cuvier (1769-1832) biologiste, promoteur de l’anatomie comparée et de la paléontologie.

Tessier est collaborateur de l’Encyclopédie méthodique et aussi fondateur des Annales de l’Agriculture Française ; il y fait une analyse des vergers de notre région : « Le Pays de Caux, quoique produisant des cidres de qualité moins estimée, est remarquable par ses plantations de pommiers qui y sont l’objet du respect et des soins les plus suivis du cultivateur…On y rencontre des vergers dignes de l’attention du voyageur observateur. Ces vergers qu’on appelle cours sont environnés de fossés de 1,950 m à 2,275m (6 à 7 pieds) de hauteur, sur autant de largeur. Sur les fossés, s’élèvent des arbres de futaie, pressés les uns contre les autres et destinés à fournir le bois de construction et de chauffage nécessaire, et à protéger les pommiers contre les vents de mer qui détruiraient les fleurs et les fruits, fatigueraient ou renverseraient les arbres. C’est dans ces enclos que se trouvent les pommiers et quelques poiriers. Non seulement, on cultive cet arbre avec le plus grand soin, mais encore on porte l’attention la plus scrupuleuse sur sa reproduction : une des conditions des baux stipule que les fermiers auxquels on accorde les arbres renversés par le vent ou morts de vieillesse, les remplaceront par une bonne « ente », c'est-à-dire un bon arbre tout greffé, dont on spécifie souvent la grosseur. »

« La quantité de pommes qu’on retire d’un bel arbre est considérable : le terme moyen du produit de ceux qui sont en très bon état, est de 10 boisseaux mesure du pays, qui répondent à peu près à 30 boisseaux de Paris (3 hectolitres). Or pour faire un tonneau de petit cidre, c'est-à-dire 6 à 7 hectolitres, en y mêlant de l’eau, on emploie 20 boisseaux de pays (6 à 7 hectolitres de pommes) ; quatre beaux arbres peuvent donc fournir la boisson d’un homme pendant deux ans … »

…«  Dans le Pays de Caux, au moment où un père de famille forme une nouvelle plantation de pommiers, il appelle le plus jeune de ses enfants et lui fait tenir le premier arbre. L’espèce d’appareil qu’il y met, les soins qu’il prend pour que la plantation soit bien faite, et sa vigilance perpétuelle à conserver les pommiers plantés, impriment pour ces arbres, dans l’esprit des enfants, un saint respect qui croit en eux et devient d’autant plus assuré qu’ils en sentent l’utilité. »

Eugène Marchand (1816-1895) pharmacien et chimiste établi à Fécamp, il est l’auteur de nombreuses études de chimie agricole [33] et de météorologie, dont des « Considérations générales sur le pays de Caux et sur l’agriculture cauchoise » publiées en 1866 ; une « Etude statistique économique et chimique sur l'agriculture du pays de Caux » Editeur : Impr. Vve Bouchard-Huzard, date de parution : 1869 ; une « Note sur la situation de l'agriculture dans le pays de Caux » publiée dans les Annales Agronomiques en 1877 et1884 ; « Recherches sur la production et la constitution chimique du lait secrété par les vaches normandes » ; co-auteur avec Girardin d’une « Analyse des saumures de harengs et de leur emploi en agriculture » [34]

Jean Girardin (1803-1884) est chimiste et agronome, spécialiste de chimie agricole, professeur de chimie et doyen de faculté à Rouen puis à Lille ; il a fondé l’Enseignement Populaire en organisant le dimanche des cours de chimie pour les ouvriers ; ses travaux sont nombreux  …

De nombreux autres articles furent publiés sur l’agronomie de notre région comme par exemple : de A. Robert une « Etude sur la culture intensive mixte dans le Pays de Caux » - imp. Deshayes Rouen 1885 ; de B. Bergé, ingénieur civil des Mines : « Expériences sur la culture du blé dans le Pays de Caux » (1886-1887) publié dans les Annales Agronomiques de 1888 ; de Gustave Heuzé : « Le bétail d’une petite culture du Pays de Caux » paru dans le Journal d’Agriculture Pratique de 1894 ; de Robert Dufresne : « L'exode rural dans le pays de Caux et la rémunération du personnel agricole » publié dans La Réforme Sociale Paris 1909.

Il faut ici ajouter le rôle joué par la Société centrale d'agriculture de Seine-Inférieure, association professionnelle agricole dont la mission est de promouvoir le développement de l'agriculture et de l'élevage dans notre département et de mettre en valeur son patrimoine agricole. Son siège social est situé à la Chambre d'agriculture à Bois-Guillaume. Elle fut fondée à Rouen en 1761 sous le nom de « Société royale d'agriculture » et reconnue d'utilité publique en 1876. Elle est à l'origine de nombreuses manifestations agricoles émanant des comices agricoles et pomologiques. Elle a notamment créé le premier concours beurrier de France à Forges-les-Eaux en 1906 ainsi que la société des courses de Rouen toujours active de nos jours.

Le terme de « Comice Agricole » apparaît par décret du 25 mars 1852 ; le but était de rassembler les cultivateurs, éleveurs, travailleurs ayant un rôle à jouer dans le domaine agricole, afin d’encourager les progrès qu’ils soient pour les instruments de la terre, la création de nouvelles races ou pour la culture ; des concours visant à récompenser les meilleurs éleveurs, ovins, bovins, équins, avicoles, mais aussi les producteurs de cidre, de pommes, de fromage, de beurre, et même certaines années de tenues de ferme, sont également organisés, et sont source de grande fierté pour les gagnants ; les transports étant relativement restreints, ces manifestations duraient entre 4 et 5 jours et se terminaient toujours par un discours et un banquet ; elles se déroulaient dans les chef lieux de canton qui bénéficiaient ainsi d’un fort rayonnement.

Il y a également la Station agronomique de la Seine-Inférieure fondée par le Conseilgénéral du département en 1883 à Rouen ; les stations agronomiques sont desétablissements dans lesquels on effectue des recherches sur toutes les questions quiintéressent l’agriculture ; de plus, elles sont destinées, concurremment avec les laboratoiresagricoles, à éclairer les cultivateurs sur la composition et les besoins de leurs terres et à lesprotéger contre les fraudes, notamment en matière d’engrais, de semences, de produitsalimentaires du bétail…

 

Les enquêtes agricoles :

Les enquêtes agricoles furent nombreuses; la France était encore en majeure partie agricole ; le ministère de l’agriculture avait besoin de centraliser les informations sur les méthodes et sur les résultats ainsi que les avis des compétences locales  :

-         L’enquête de 1807 sur le nombre de pommiers et poiriers en Seine-Maritime,

-         Les enquêtes par le ministère de l’agriculture dans chaque département et à l’étranger en 1866-1867 ; la seine inférieure est de la 4ème circonscription

-         Les enquêtes dites décennales de 1862, 1882 et 1892, publiées dans les Statistiques agricoles de la France, celle de 1872 ayant sans doute été annulée par suite de la guerre avec l’Allemagne.

-         L’enquête de 1929 et la statistique agricole de la France

-         L’enquête de 1939 sur l’habitation rurale en France à la demande de la Société des Nations

-         L’enquête de 1942 à 1946 sur l’architecture régionale par Georges Henri Rivière

-         L’inventaire général de Malraux en 1962,

-         Enfin citons l’enquête de 1965 sur les bâtiments agricoles puis de 1967 sur la structure des exploitations agricoles.

Une grande diversité de fermes

Il y a dans notre région une multitude de fermes et de cours de fermes [35] , toutes plus variées les unes que les autres mais avec les critères constants dont nous avons parlé plus haut ; sans vouloir opérer un classement précis, nous pouvons citer tout d’abord les fermes de château par exemple à Bosville lieu-dit Bieurville, à Montigny ou Blainville-Crevon, plus importantes que celles environnantes avec le colombier au centre, signe de l’empreinte seigneuriale ; puis les fermes-manoirs ou bien les fermes à tourelles à Mentheville, Ypreville-Biville, Bennetot, Brachy ; les fermes d’abbaye à Mesnil Raoul ou encore Beaubec, les fermes avec chapelle , à Alvimare avec la ferme des Blanques, à Mesnil-Val ou Oissel.

Et puis aussi les fermes célèbres, celle des artistes sur la falaise amont d’Etretat, la ferme d’Alezonde à Criquetot l’Esneval, la ferme Rouault à Ry où l’enfant de Mme Bovary fut mis en nourrice, la ferme de Colombier à Bois Guillaume où Guillaume le Conquérant résida…

Enfin, il y a malheureusement les fermes qui disparaissent, à cause de l’extension urbaine ou bien l’appropriation citadine, souvent accompagnées d’un morcellement en plusieurs lots qui dénature encore plus les lieux : par exemple, à Fécamp : la ferme des Hauts camps, la ferme Saint-Jacques, la ferme Verte Orée, la ferme de la Chapelle, la ferme de l’Epinay ; à Saint-Léonard : la ferme Cauvin [36], la ferme Leconte, la ferme de Renéville ou ferme Dargent ; à Yport : la ferme Cocagne, etc…

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Les fermes-modèles

Les pouvoirs publics français, stigmatisés par les attaques de Young vont réagir en soutenant l’agriculture et en encourageant les initiatives locales ou privées ; de nombreux concours agricoles sont organisés ; des prix sont décernés tous les 10 ans par l’Institut de France, un réseau de fermes modèles est mis en place dans chacun des départements français et surtout en Algérie où l’agriculture était entièrement à organiser ; la Seine Inférieure va tenter à plusieurs reprises de réaliser ce projet de ferme modèle, notamment dans l’arrondissement de Rouen, sur les hauteurs de la ville.

Au bout du parc du château d’Eu, dans le domaine de Joinville, Louis Philippe (1773-1850), alors Roi des Français, avait créé ici, de retour de l’un de ses voyages en Angleterre, une ferme-modèle dite Ferme du Parc, un lieu unique en France où était mises aux points les dernières techniques et innovations en matière d’agriculture ; les constructions nouvelles seront de l’architecte Camille Albert.

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Alexandre Le Grand (1830-1898) le fondateur de la Bénédictine de Fécamp se passionne pour sa ferme-modèle de Gruville à Contremoulins qui devient après la fabrication de la liqueur, sa seconde entreprise : il transforme 160 hectares de bois d'un sol caillouteux en pâturages, plaines de blé, avoine, colza, betterave ; il contribue à l'amélioration de la race bovine normande, son bétail remporte deux prix d'honneur au concours général agricole de Paris de 1886, dont un premier prix pour sa bande de vaches laitières ; « sur la demande du jury, un objet d’art lui a été accordé par le ministre de l’agriculture, récompense bien méritée car les sept vaches laitières composant la bande exposée étaient de toute beauté. Il y a là une expérience tentée dont il est utile de suivre la marche. M Le Grand a importé du Cotentin dans le Pays de Caux les bêtes les plus remarquables … les qualités laitières qui distinguent la vacherie de M. Le Grand (50 bêtes environ) se conserveront-elles dans les plaines du Pays de Caux ! C’est une question que nous ne nous chargeons pas de résoudre … » [37]

Près de Fécamp, une autre ferme est souvent citée comme modèle pour s’être longtemps spécialisée dans l’élevage du mouton : c’est la ferme Dargent à Saint-Léonard ; lors d’un concours agricole à Evreux en 1861, elle est couronnée de la prime d’honneur, en ces termes : « M. Dargent, propriétaire et excellent cultivateur à Saint-Léonard, près Fécamp, avait exposé deux toisons lavées à dos, de son beau troupeau de pure race mérinos. Ce troupeau existe dans sa ferme depuis 1795, époque où son père l’avait acheté en Espagne [38]. Ces deux toisons pesaient chacune quatre kilogrammes, et le kilogramme s’était vendu en 1856 pour 7 frs 50c ; son troupeau de trois cents têtes est nourri sur cinquante hectares, à la vérité cultivés admirablement, je peux le dire, l’ayant visité en 1848 »[39]. Eugène Marchand dans ses publications fait également état de la ferme Dargent ; il poursuit « Cet habile agriculteur entretenait une tête et demie de bétail sur chaque hectare de son exploitation et grâce à la masse d’engrais qu’il en retirait, il obtenait des produits si abondants que chaque hectolitre de blé qu’il produisait ne lui revenait pas à plus de 11 francs ; à ce taux, il ne craignait aucune concurrence …Il faisait de l’agriculture intensive comme on en fait nulle part mais sans exagérer ses dépenses … »

On parla aussi de fermes-modèles dans de nombreux autres endroits où l’on fit preuve d’efforts de productivité et de modernisation : à Bolleville(lieu-dit Cornemare), au Tréport (au Mont-Huon, ferme des Granges ?), à Harfleur (domaine du Colmoulins -1930), à Etretat (ferme de Fréfossé au Valaine), à Contremoulins(ferme de Bariville), à Touffreville la Corbeline (ferme ? prop M. Lemarié), à Rouen (La Grand Mare, prop M. Veyssière), à Saint-Paer (ferme du château d’Aulnay), au Marais Vernier (ferme des Planitres ?)

L’évolution dans le temps : quelques chiffres : la surface des exploitations : en 1853, il y avait dans le canton de Fécamp qui à l’époque ne comprenait pas Senneville-sur-Fécamp  619 fermes dont plus de la moitié, 351, de moins de cinq  hectares ; aujourd’hui il y en a xx

L’évolution des modes de construction au 19èmeest nette : la brique et l’ardoise remplacent le colombage et le chaume.

La fonctionnalité de la cour aussi a changé : à l’entrée, l’une des piles du portail a dû être retirée pour le passage des larges engins agricoles ; l’arrivée des tracteurs supprime la main d’œuvre et aussi les animaux de trait ; le cycle de production se mécanise au fur et à mesure dans son ensemble ; l’arrivée des moissonneuses-batteuses [40] supprime le battage des manèges et des granges ; on ouvre de grandes portes charretières dans les granges ; les stabulations plus modernes et aux normes récentes remplacent les étables traditionnelles ; le hangar ouvert polyvalent remplace à la fois et d’une façon plus fonctionnelle le garage et la grange ; plus récemment surviennent les silos et puis les fosses à lisier …nous sommes aujourd’hui au cœur d’une véritable industrie.

Le temps qui passe, les valeurs changent…

Au fur et à mesure du temps, l’ordre des valeurs a changé ; après  les longues périodes d’inflation, les dévaluations et puis les changements de monnaie, après les changements dans le comportement des français, les attirances –et par voie de conséquences les désintérêts - , les goûts de consommation, les choix dans les achats, nous pouvons constater désormais un énorme déphasage de la société ; les points de repères sont mêmes difficiles à retrouver ; quelques exemples cependant nous paraissent marquants ; la coupe d’un alignement d’arbres de la cour payait la noce de la jeune fille de la maison ; la récolte des pommes du verger payait le fermage de l’année[41] ; avant la guerre 14-18, un cultivateur laborieux pouvait au cours de sa carrière racheter une ou même plusieurs petites fermes ; après la dernière guerre 39-45, un ouvrier agricole également laborieux pouvait racheter assez régulièrement des parcelles de terres, par exemple de 1 à 3 hectares ; pour cela les banques n’intervenaient pas, il fallait avoir la confiance d’un bailleur qui accordait un crédit-vendeur

Les propriétaires à cause du difficile entretien des toitures, ont vendu les corps de ferme à leur locataire-fermier ; les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (Safer) et les droits de préemption en ont fait de même pour ce qui concerne les terres. Certains citadins avaient encore une attache d’origine ancestrale sur un domaine rural, aujourd’hui, il n’y a plus rien de cela.

Le nombre d’agriculteurs a toujours été en diminution et les surfaces des exploitations en augmentation corrélative ; en quelques dizaines d’années, plus de la moitié des corps de ferme ont été dissociés de leurs terres et vendus pour des usages hors agriculture.

            A sens et contre sens : l’activité humaine a toujours été malheureusement de courte vue ; l’utilité précaire ou l’appât du gain ont souvent primé les visions à long terme, et cela même en France est qui le pays de la planification (depuis 1945) : avec le temps passant, les contradictions se révèlent nombreuses : il y eut les primes à l’arrachage des pommiers, dans les années 1960, et puis les aides à la replantation, il y eut les aides à la plantation forestière des herbages ou à l’urbanisation industrielle et peri-urbaine, aujourd’hui on prévoit plutôt d’interrompre la « consommation » des terres agricoles ; il y eut la fin des jachères et puis leur renouveau dû à la surproduction, des jachères dans tous les sens, les naturelles, les fixes, les mobiles ; il y eut les arrachages des haies et puis les aides à la reconstitution, les suppressions de mares et puis les bassins de rétention, etc…

            Il est difficile d’y voir clair dans toutes ces contradictions qui s’effilent au fur et à mesure du temps ; la finalité tout de même doit se réaliser autour d’un équilibre entre l’homme et la nature, avec une activité humaine maîtrisée dans le cadre du respect de l’environnement.

 

            Les œuvres littéraires, artistiques et théâtrales

L’œuvre de Guy de Maupassant (1850-1893) qui a su attirer un regard national et même universel sur son œuvre mais également sur notre région, et aussi Léo de Kerville (1872-1941) avec « Brindilles cauchoises », Gaston Démongé (1888-1973) avec « Les Terreux »,Camille Robert Désert (1893-1976),Jean Le Povremoyne (1903-1970) avec ses contes normands etl’abbé Bernard Alexandre (1918-1990) le horsain admirable conteur.

« La grande campagne normande, ondulante et mélancolique, pareille à un immense parc anglais, à un parc démesuré, où les cours des fermes entourées de deux ou quatre rangs d’arbres, et pleines de pommiers trapus qui font invisibles les maisons, dessinent à perte de vue les perspectives de futaies, de bouquets de bois et de massifs que cherchent les jardiniers artistes en traçant les lignes des propriétés princières ». Guy de Maupassant (Le Fermier).

Il faut citer les nombreux artistes-peintreslocaux de la paysannerie et de la ruralité de notre région, comme Raymond Lecourt (1882-1946) et bien d’autres…

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Georges Dieterle (1844-1937) Masure à Saint-Léonard 1878 – Musée de Fécamp

En plus des consignations textuelles ou visuelles de la ruralité cauchoise, il y a la partie sonore avec le patois et la littérature patoisante préservée parl’université rurale cauchoise, avecl’œuvre cinématographique de Claude Santelli (1923-2001) et aussi le théâtre de proximitéet ses comédies rustiques comme « Le cousin du pays de Caux » en un acte  par MM Moreau de Bauvière et Stanislas de Charnal représentée pour la première fois le 11 mars 1864 sur le théâtre des Folies Dramatiques ; ou « Une Idylle au Pays de Caux » par René Fath parue dans la Revue Hebdomadaire de 1896 ;dans la commune de Mont-Cauvaire, il y eut l’expérience pendant la dernière guerre (1943) du « Théâtre aux Champs » avec une société d’art dramatique et folklorique créée par C. R. Désert[42] .

Conclusion : L’homme des temps anciens a fortement marqué le paysage, mais depuis, il a su par son labeur et son attention en conserver les formes et les couleurs; le paysage une fois modifié a été exploité mais aussi entretenu ;l’endroitestdésormais à la convenance de l’homme qui en a fait son cadre de vie ; la pensée dominante a toujours été jusqu’alors que la nature était au service de l’homme, il faudrait désormais reconnaître que la nature a ses limites et que c’est alors à nous de nous soumettre aux exigences de la préservation de la nature.

Pour cela, essayons de mieux comprendrenotre environnement,pour ne rien laisser se détériorer mais au contraire entretenir et réparer, ne pas laisser d’empreintes personnelles, ni celles trop fortes ni celles négatives, ne pas supprimer le lien entre l’habitation et son entourage,ne pas rompre notre relation de toujours avec la nature qui nous est chère.

                                                                                                          Mars 2015      

Yves Duboys Fresney

 

P.S. : Nous ne pouvons que souhaiter une bonne chance aux organisateurs et responsables de la demande de classement des cours-masures du Pays de Caux au patrimoine mondial de l’UNESCO ; pour tenter de faire aboutir le dossier, il leur faudrafaire preuve de patience etde ténacité, de conseils efficaces et puis aussi de moyens financiers [43]; il faut, ne l’oublions pas, justifier d’une valeur universelle exceptionnelle ; pour notre part, nous estimons qu’il aurait peut-être fallu passer par une étape intermédiaire de mesure de protectionprise parmi l’éventail déjà important que la loi française propose pour la préservation de tous nos paysages.

 

Références :

-         La vie en Pays de Caux, tome 1, campagne, villages et fermes Edition des Falaises - 2008

-         Clos-masures et paysage cauchois publié par le CAUE -Editions Point de vues, 2 rue de Thuringe 76240 Bonsecours

-         Pays de Caux, vie et patrimoine par Patrick Lebourgeois Edition des falaises - 2003 et 2007

-         Le Horsain, vivre et survivre en Pays de Caux par l’abbé Bernard Alexandre Edition Plon collection Terre Humaine – 1988

-         Le chemin de la ferme – Le Pays de Caux de 1900 à 1968 par Isabelle Kaanen-Vandenbulcke Edition Bertout - 1985

-         Le Pays de Caux – des mots et des gens - par Pascal Bouchard et Didier Le Scour Edition Garnier - 1981

-         Le Pays de Caux, son origine, ses limites, son histoire par Raymond Mensire - Presses de l’imprimerie commerciale d’Yvetot, 1946.

-         Les paysans de la Normandie orientale par Jules Sion éd Armand Colin 1909 (Haute-Normandie)

-         La Normandie ancestrale par le Dr StéphenChauvet chez Boivin et Cie Paris - 1921

-         Le code des usages locaux du département de la Seine Inférieure, publié par la Société centrale d’Agriculture, éditeur Charles Métérie, Rouen 1878.

-         Annales des Cauchois, depuis les temps celtiques jusqu'à 1830. T. 2 / par Ch. Juste Houël,...-Comon (Paris)-1847

-         L’Ami des Hommes par Victor Riqueti de Mirabeau  – 1756-1762

-         Le Traité de la culture des terres par Henri Louis Duhamel du Montceau - 1750

-         La Nouvelle Maison Rustique par Louis Liger - 1700

-         Le Théâtre d’Agriculture et mesnage des champs par Olivier de Serres - 1600

-         La Maison Rustique par Charles Estienne et Jean Liebault – 1564

 



Notes :

[1]   Pour ce qui est des limites du Pays de Caux, voir  l’ouvrage de Raymond Mensire

[2]  Une centaine de mètres au-dessus du niveau de la mer

[3]  La rivière de Fécamp, la Durdent, la Veule, le Dun, la Saane, la Scie ; la Scie ferme à l’est le Pays de Caux avec plus au sud la vallée de l’Austreberthe et Pavilly …

[4]A propos de la forêt de Fécamp, voir « Essai sur l’ancienne forêt ducale de Fécamp » de S. Deck dans les Annales de Normandie de 1970.

[5]  On parle de cheptel mort par opposition au cheptel vif

[6]La terminologie est passée de laboureur à cultivateur puis agriculteur et enfin exploitant agricole

[7]  Les plans d’occupation des Sols – POS – et surtout les plans locaux d’urbanisme – PLU – répertorient les talus plantés en vue de leur protection

[8]  Le CAUE a permis de reconstituer des haies et des plantations sur talus

[9]  Plantés dans le passé pour lutter contre le brouillard, ces arbres se sont révélés très dangereux dans les cas de sorties de route ; les pouvoirs publics n’ont malheureusement compris le danger que tardivement …

[10]  La France est en retard pour l’enfouissement des lignes ; et puis le pays de Caux doit supporter les deux grosses lignes des deux centrales nucléaires de Paluel et Penly

[11]  Ils sont dus pour les uns à la pluviométrie pour les autres au tassement des terres

[12]Les premiers défrichements de notre région remontent au néolithique et se sont poursuivis tout au long des périodes suivantes, gallo-romaine, viking et franque. Cette déforestation a fortement modifié le paysage et l’équilibre de la nature, comme on peut le ressentir aujourd’hui dans certains pays d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique du Sud.

[13]Par suite du passage des anglais, des bourguignons et des français.

[14]La construction des plus grands vaisseaux de haut bord nécessitait l'abattage de trois à quatre mille chênescentenaires par navire…

 

[15]  Le fonctionnement d’une forge nécessitait une grande quantité de charbon de bois et donc de bois, surtout du taillis ; une petite forge produisait 150 à 180 tonnes de fer et consommait environ 5 000 cordes de bois ; elle devait disposer de quinze coupes successives de taillis de 15 ans, d’une contenance de presque 200 hectares chacune, soit une réserve totale de presque 3 000 Hectares  - voir « Les grosses forges ont-elles mangé la forêt ? » dans les Annales de Normandie de octobre 1980 pages 245 à 269.

[16]On l’a dit « inclassable pour les géographes… une énigme pour les historiens » …

[17]Les critiques ont porté sur la trop grande dispersion des bâtiments et puis sur l’état sanitaire des étables – contrairement aux écuries -

[18]Le terme d’usage courant est « la cour » ; les actes notariés parlaient autrefois indifféremment de « pièce de terre en masure », de « masure édifiée de bâtiments, close et plantée », de « cour bâtie close et plantée », de « ferme bâtie et plantée »…

[19]Le vent courre sur les plaines au ras du sol ; au contact d’une cour, il est envoyé en l’air par le talus et brisé comme un tamis par les arbres plantés en quinconce.

[20]On enregistre assez régulièrement trois degrés en plus à l’intérieur des cours de ferme par rapport à l’extérieur.

[21]Voir Les énigmes de la maison cauchoise par André Vigarié dans Annales de Normandie 1971 numéro 2 pages 137 à 151

[22]  Voir les meubles cauchois par André Paul Leroux chez Banse Fécamp - 1924

[23]La distance minimale est de l’ordre de 10 à 20 mètres pouvant aller jusqu’à 40 mètres

[24]  Dictionnaire d’Agriculture Paris 1836 ; le Pays de Caux n’a pas d’équivalent dans les autres régions ; on parle parfois en comparaison de l’airial dans les Landes ; mais cette disposition particulière ne convient pas à tout le monde ; certains parlent d’apport d’ombrage et d’humidité par les arbres ou bien de trop grande distances entre les bâtiments ou encore d’espace en herbe trop restreint, enfin production trop faible de fumier ce qui nécessite de recourir à des engrais chimiques couteux  – voir J. Buchard « Constructions agricoles et architecture rurale » 1889

[25]Haute tige en présence de bovins, moyenne tige en présence d’ovins et basse tige à défaut d’animaux dans les potagers.

[26]Voir le décret du 9 août 1953

[27]Il faut lutter contre la carence en bore qui nuit à la production des betteraves et du lin.

[28]Voir la communication de Jérôme Malandain du 3 décembre 1928 publiée dans le bulletin 19 des Amis du Vieux Fécamp et des antiquités de la région

[29]  « La Triolette » est le nom d’un ouvrage écrit à Fécamp par Henry de Monfried en 1948

[30]  La population du Pays de Caux était en 1806 de 391 116 habitants dont 110 746 en ville et 280 370 en campagne ; en 1831 de 426 917 habitants dont 133 364 en ville et 293 553 en campagne ; en 1861 de 483 676 habitants dont 202 969 en ville et 280 707 en campagne (sources Eugène Marchand)

[31]Pour aboutir à la rédaction actuelle de l’article 826 du code civil résultant de la loi du 23 juin 2006

[32] Le docteur Lepecq de la Cloture de Rouen confirme ces propos : « Cette contrée, le Pays de Caux, ne donne pas autant de production de denrée qu’il y en pourrait croitre avec une meilleure culture… »

[33]Jean Antoine Chaptal (1756-1832) a été l’un des premiers à étudier la chimie appliquée à l’agriculture (1823)

[34] Paru dans le Journal de Pharmacie et de Chimie de 1860 et dans les Annales du Patrimoine de Fécamp de 2002 numéro 9 pages 83 à 90.

[35]Le Pays de Caux comprend environ 400 communes (sur 741 pour tout le département de Seine Maritime) ; à raison de 10 à 20 fermes par communes ayant des critères assez constants dont le talus planté, le total donc de plusieurs milliers de fermes constitue un ensemble assez homogène et vraiment unique qui devrait mériter notre meilleure attention.

[36]Léon Cauvin ancien maire de Saint-Léonard avec le lotissement Cauvin-Paillette.

[37] Annuaire de l’association Normande 1887

[38]Y avait-il eut une relation entre Dargent père et l’abbé Tessier pour l’achat de ces mérinos ? Les dates correspondent …

[39]Cf : Voyage agricole en Normandie … parle comte Conrad de Gourcy 1862

[40]  Vers 1880, elles sont actionnées à la vapeur, puis vers 1900 par un moteur.

[41]Le prix des pommes à cidre était ici de 2 francs 25 le demi-hectolitre, pas plus de 2 francs en Pays de Bray

[42]  Voir par Gallica le journal Le Matin du 12 avril 1943 pages 1 et 2

[43]Voir pour cela le dossier de la Région Champagne à l’Unesco