Joseph Duboys Fresney (1812-1872)

et « l’affaire des poudres »

 

 

            Joseph Duboys Fresney naît à Saint-Servan le 23 janvier 1812 ; jeune frère de Etienne Duboys Fresney, il sera comme lui admis à l’Ecole Polytechnique en 1832 [1] et c’est à cette époque qu’il sera, jeune républicain convaincu, l’un des complices d’une conspiration dénommée « l’affaire des poudres » ; de quoi s’était-il agit exactement?

 

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            En 1833, le projet par le gouvernement d’entourer Paris d’une ceinture de forts détachés destinés à commander les points les plus importants, passionnait les esprits ; certains prétendaient que ces forts seraient inutiles pour la défense intérieure et menaçants seulement pour la population. Néanmoins le ministère, sans s’inquiéter des protestations unanimes de l’opposition et de la presse et malgré le refus formel de la Chambre de voter les crédits nécessaires, avait commencé les travaux.

            A l’école Polytechnique, la jeune génération des élèves se mobilise, enfiévrée, emportée par un immense besoin d’action qui se dépensait sans compter, qui chantait « la Marseillaise » et « la Parisienne » [2], recevait « le Constitutionnel » et « la Tribune », qui ne boudait pas plus le plaisir que l’émeute, se reposait par goût des lettres et quelques distractions d’un travail abstrait et continu.

            La garde nationale était sûre d’avoir avec elle une grande partie de la population ; des dispositions furent prises pour une immense manifestation populaire le 27 juillet, lors de l’anniversaire des trois glorieuses [3] ; informé de ces préparatifs et effrayé par l’attitude de la population, le gouvernement abandonna son projet. Une déclaration officielle est faite en vue de rassurer tout le monde ; toutefois le jour de la revue militaire, des cris retentissent : « A bas les forts ! A bas les bastilles ! ». Le roi est obligé de rassurer dans les rangs : « Non mes amis, plus de bastille » [4] .

            Le gouvernement mécontent de son échec cherche sa revanche dans la découverte d’une conspiration ; on fait alors annoncer que la police tenait les fils d’un vaste complot ; personne ne voulait y croire ; une descente de police faite dans la nuit du 27 au 28 juillet dans une fabrique d’armes chez M. Laurent officiellement mécanicien au 30 rue des trois couronnes en apporte la preuve : on y avait découvert des fusils de guerre, de la poudre, des balles, des moules, du plomb, donc tout l’attirail d’une fabrication clandestine [5] ; on avait arrêté là trois ou quatre ouvriers ainsi que quatre élèves de l’école Polytechnique qui avaient dû travailler à la confection des munitions et qu’on trouva blottis au fond d’un grenier obscur [6] ; de nouvelles perquisitions opérées le lendemain amenèrent l’arrestation de deux membres de la société des droits de l’homme ; il y eut en tout 27 arrestations ; on les jeta tous en prison en attendant leur jugement ; ils passèrent un mois au dépôt, un mois à la Force et trois à Sainte-Pélagie.

            Après cinq mois de prison préventive, les accusés comparurent devant la Cour d’Assises de la Seine le 11 décembre 1833 ; l’acte d’accusation leur reprochait d’avoir participé à un complot ayant pour but soit de détruire soit de changer le gouvernement, soit d’exciter les citoyens à s’armer contre l’autorité royale, soit d’exciter la guerre civile en armant ou en portant les citoyens à s’armer les uns contre les autres, lequel complot a été suivi d’actes commis ou commencés pour en préparer l’exécution, crimes prévus par les articles 87, 89 à 91 du code pénal.

            L’affluence est considérable ; les accusés parurent avec une cocarde tricolore à leur chapeau, la confiance brillait dans leurs yeux ; ils se renfermèrent dans un même système de défense et de dénégation ; 150 témoins furent entendus ; il fallut 12 audiences pour conclure le procès.

            A la 4ème audience, les élèves de l’école polytechnique furent interrogés : Latrade, Duboys-Fresney, Grenier, Caylus plus Rouet arrêté le lendemain des faits ; quatre étaient en uniforme ; ils répondirent avec une dédaigneuse ironie aux questions du président ; la salle était comble avec de nombreux élèves de l’école :

            - L’accusation vous reproche d’avoir pris part au complot

            - Il n’y a de complot que dans la tête de M. le procureur général !

            - La police seule a imaginé le complot !

            - Quand une question me semble absurde, je n’y réponds pas !

            Duboys-Fresney déclare qu’il n’a pris part à aucun complot ; il défend sa présence dans les lieux par une confusion avec un autre Laurent, passementier au 26 de la rue.

            Interrogés sur l’emploi qu’ils comptaient faire de la poudre et des balles, tous répondent :

-          Nous n’en savons rien !

Le président leur ayant demandé s’il y avait d’autres élèves mêlés au complot, ils répliquent :

-          Regardez notre uniforme et vous verrez si nous savons dénoncer !

Après le réquisitoire de l’avocat général, les dernières audiences furent consacrées à la défense ; puis, après un résumé des débats qui dura deux heures et demie, le jury à l’unanimité déclara les accusés non coupables et le président prononça l’acquittement.

Avant ce procès, jamais l’uniforme des élèves n’avait été traduit devant une cour d’assises et depuis jamais l’antipathie de la majorité des élèves pour la personne du roi Louis-Philippe n’avait été aussi grande.

Lors d’un conseil de discipline de l’école du 27 décembre 1833, réunit sur la demande du Gouvernement, les élèves cités en justice expliquent mieux les faits, et pour ce qui concerne Joseph Duboys Fresney de la façon suivante : il déclare qu’il est sorti le 27 matin avec une permission de trois jours pour les passer avec son père. Il le joignit et le quitta après 5 heures parce qu’ayant envie d’aller au spectacle, il voulait dîner de meilleure heure que lui. Après son dîner, il rencontra ses camarades au café Lemblin au Palais-Royal et on convint d’aller au théâtre de la Gaïté où suivant leurs habitudes, les élèves ne devaient se rendre que fort tard, on se donna rendez-vous chez M. Laurent. Il répond à l’interpellation qui lui en est faite qu’il savait en sortant du café qu’on devait faire des balles dans cette maison. En entrant, il a trouvé trois inconnus occupés à ce travail, ceux-ci se sont retirés, les élèves les ont remplacés et dix minutes après, l’introduction des agents de la police a eu lieu. Il ne sait pas au juste à quoi ces balles étaient destinées mais on disait qu’il devait se passer le lendemain des évènements fort graves et on se mettait en mesure.

Sur les cinq élèves, deux furent maintenus au sein de l’école et trois furent exclus dont Joseph Duboys Fresney par sept voix pour et deux voix contre.

En note complémentaire, nous savons que le commandant de l’école avait sollicité auprès du ministre de la Guerre la réadmission des cinq élèves mais que celle-ci avait été refusée.

 

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            Par la suite, Joseph D.F. fût élève de l’école des Mines de Saint Etienne en 1834.

Après la révolution des 22, 23 et 24 février 1848, il fût choisi par les républicains de la Mayenne comme candidat à l’assemblée constituante ; les élections étaient prévues le 9 avril 1848 mais furent ajournées au 23 avril à cause d’une manifestation socialiste ; il fût élu représentant le 4ème sur 9 par 53 305 voix (ou 54 405 ?) sur 93 437 votants et 105 259 inscrits ; il siège parmi les républicains modérés et vota avec le parti démocratique de la tendance du « National » ; il fit partie du comité des travaux-publics ; il vota pour le bannissement de la famille d’Orléans, pour la loi sur les attroupements, pour le décret sur les clubs, contre la proposition Proudhon, contre les poursuites contre Louis Blanc et Caussidière, contre l’impôt progressif, contre l’amendement Grévy sur la présidence, pour la suppression complète de l’impôt du sel, contre la proposition Rateau, pour le renvoi des accusés du 15 mai devant la Haute-Cour, contre l’amnistie générale, pour l’interdiction des clubs, pour l’amnistie des transportés, pour la mise en accusation présentée contre Louis-Napoléon Bonaparte et ses ministres à l’occasion de l’expédition de Rome.

            Il échoue et ne fût pas réélu à l’assemblée législative lors des élections du 13 mai 1849.

            Il se retire alors de la vie publique et ne fit partie d’aucune autre assemblée, mais après les élections du 10 décembre 1852, continue à combattre la politique de l’Elysée ; étant célibataire, il s’occupa beaucoup de son neveu Etienne-Albert D.F., surtout pendant les campagnes militaires de son père.

            Il décède à Paris en son domicile 59 Boulevard Magenta le 22 (ou 23 ?) novembre 1872, léguant ses biens à son neveu Etienne-Albert et sa sœur Ernestine.

 

 

                                                                                                                                 Y.D.F.

 

 

Références :

-          Histoire de l’Ecole Polytechnique par G. Pinet – Paris Baudry Editeur

-          Histoire de l’Ecole Polytechnique par Callot

-          Procès-verbal des séances du conseil de discipline en 1833



[1]  Etienne D.F. est né en 1808 et est admis à l’école en 1825.

[2]  De Casimir Delavigne

[3]  La révolution des 27, 28 et 29 juillet 1830

[4]  Il a été prétendu que Duboys Fresney et quelques mauvaises têtes auraient conçu le projet de proclamer la République au passage du Roi.

[5]  Avec 162 fusils, 150 kg de poudre de chasse, 2 000 balles de plomb de calibre de guerre, 4 moules, un creuset et des lingots de plomb.

 [6]  Il y eut sans doute une dénonciation