La dormition de la Vierge

A l’abbatiale de la Sainte Trinité de Fécamp

 

Le groupe sculpté en ronde-bosse fut aussi appelé « Le Trépas de Notre Dame ». La Dormition – du latin « Dormitio » ou sommeil – est une expression antique désignant le décès de la Vierge suivi de sa résurrection et de son assomption.

La Dormition de la Vierge dans sa niche (1495)

 

La Dormition de Fécamp date de la fin du 15ème siècle – vers 1495 – et fut commandée par Robert Chardon, prieur de l’abbaye.

Cette époque est marquée par de grands travaux dans l’abbatiale :

-          Exhaussement de la chapelle de la Vierge par Jacques Leroux en 1489

-          Le jubé par Pierre des Aubeaux de la fin du 15ème siècle

-          Le sépulcre de Notre Seigneur avec les initiales de Robert Chardon

-          Les autels du chœur de 1507

-          Les clôtures du chœur et des chapelles du déambulatoire de 1518-1520

La Dormition de la Vierge se situe dans le bras sud du transept qui ici est prolongé par la chapelle des Fonts – ex chapelle Saint Thomas – avec accès par une triple arcade.

L’endroit est l’un des plus lumineux avec juste au-dessus le pignon sud du transept percé de nombreuses baies et avec la proximité immédiate de la tour-lanterne.

L’ensemble s’inscrit dans une niche orientée et adossée à la chapelle Saint-Clair avec voûte et croisée d’ogives, ouverte par un arc en anse de panier retombant sur deux colonnettes ayant des marmousets en chapiteaux.

Cet enfeu forme un dais à la sculpture et est dominé par une balustrade de style gothique flamboyant.

 

Vue d'ensemble de la Dormition de la Vierge (1495)

 

Le groupe sculpté, plus en hauteur qu’à l’habitude de cette époque, est situé au-dessus de l’autel et lui sert de rétable. Il nous domine et nous donne une bonne vision des visages penchés et expressifs des apôtres. La vierge est allongée en premier plan avec des traits paisibles. Les onze apôtres représentés sont sur deux plans : au centre, Pierre qui avec un goupillon officie l’oraison funèbre ; à sa droite, Jean ; entre Pierre et Jean, en second plan Jacques porte la navette.

Les personnages ont été sculptés à mi-corps et semble-t-il un à un, et non pas en un seul bloc.

La tête du lit de la Vierge est surmonté d’un dais sous lequel deux anges sont agenouillés. Robert Chardon, en sa qualité de donateur, était représenté au pied de la défunte.

 

La Dormition de la Vierge (1495)

 

Avec la Révolution Française et le passage des bataillons de Beauvais, il y eut des dégradations. L’effigie du donateur ainsi que quatre têtes d’apôtres ne purent être retrouvées, dont celle de Saint Jacques. L’abbé de Valville mena les restaurations : deux têtes en pierre proviennent d’autres sculptures, peut-être du groupe du Saint-Sépulcre, deux têtes sont refaites en plâtre d’après l’antique, avec pour modèle le poète Posidippe ainsi que Laocon ; l’emplacement de Robert Chardon est comblé par un angelot baroque ; l’autel de pierre détruit est remplacé par un autel tombeau de style Louis XV.

Cet ensemble a été fait dans le style de la Renaissance Française, avec certainement un influence flamande et italienne. Les personnages sont vêtus, comme le veut l’usage de cette époque, de beaux costumes des grands personnages de la fin du 15ème siècle. Les chasubles à brocarts sont faites d’étoffes onctueuses, plaquées par endroits, disposées en larges plis arrondis par ailleurs. Le drapé est ample. Les attitudes sont naturelles et pleines de vérité. Les visages sont empreints de sérénité et de recueillement. Le réalisme est intense avec André aux joues gonflées soufflant sur l’encensoir ; le vieillard édenté aux pommettes saillantes, Jean serrant les lèvres pour contenir sa douleur. Les yeux sont petits au regard pénétrant. Les visages au modelé délicat donnent un aspect vivant. Les cheveux se terminent par des enroulements, les deux angelots sont coiffés de cheveux en casque au rebord bouclé.

En contraste à la tristesse générale des personnages, la Vierge est paisible.

L’ensemble est polychrome et mériterait un nettoyage…

La datation de cette sculpture n’est pas précise ; du fait de la niche voûtée et des costumes des personnages, nous sommes assurément vers la fin du 15ème siècle.

L’auteur également n’est pas certain :

-          On a parlé (Vitry) de Guido Mazzoni dit Paganini ou le Modanino, auteur du sépulcre de l’église de Monte Oliveto à Naples.

-          On a parlé (Blanquart) de Pierre des Aubeaux, sculpteur rouennais, auteur de la Dormition de Gisors et auteur présumé du Jubé de Fécamp ; sur ce point, un compte de la confrérie de l’Assomption de Gisors mentionne une dépense faite en 1511 par Messieurs les Gouverneurs de Gisors avec Maître Pierre des Aubeaux pour aller de Gisors à Fécamp voir le Trépassement de Notre Dame.

La scène ainsi sculptée aurait eu, d’après Male, pour modèle un dessin sur parchemin contemporain des Livres d’Heures du duc Jean de Berry, au musée du Louvre.

L’œuvre eut une grande renommée ; outre la source d’inspiration sur la Dormition de Gisors, elle servit de modèle à l’un des vitraux de la Chapelle des Six Heures de l’abbatiale de Valmont, du milieu du 16ème siècle.

Pour situer l’œuvre, Jacques Baudouin, auteur de La Sculpture Flamboyante en Normandie et Ile de France, nous demande de la comparer avec :

-          Les sculpteurs funéraires de Valmont : le cénotaphe de Nicolas d’Estoutteville, le mausolée de Jacques d’Esyoutteville décédé en 1490 et Louise d’Albret décédée en 1494

-          La Vierge à l’Enfant de Thuit Hébert

-          L’Ecce Homo de Saint Sauveur le Vicomte.

Il faut également comparer l’œuvre avec :

-          Les groupes antérieurs à Francfort (1439) et à Wurtzbourg (vers 1450) avec un défilé des apôtres autour du lit de la Vierge,

-          Le priant de Georges 1er d’Amboise à la cathédrale Notre Dame de Rouen, de même style.

-          Les huit autres mises au tombeau situées en Seine-Maritime : Bully, Dieppe, Eu, Lillebonne, Neufchatel, Rouelles, Saint Ouen sous Bailly et Le Trait.

Au–dessus de la Dormition : l'Assomption entourée de quatorže attributs bibliques de la Vierge

Transept sud : l'Assomption de la Vierge (fin du XVe siècle)

 

Le fond supérieur de la niche est complété par un bas-relief représentant au centre un médaillon ovale avec l’assomption de Notre Dame aux mains jointes ainsi qu’une Trinité au dessus de l’ensemble, le tout entouré des 14 attributs bibliques de la Vierge :

-          A gauche , le soleil – electa ut sol – replendissante comme le soleil,

-          Un rameau – virga jesse floruit – tige de Jesse fleurie,

-          Une roseraie – plantatio rosae – buisson de roses,

-          Un lis – sicut lilium inter spinas – comme le lis entre les épines,

-          Une fontaine – fons (h)ortorum – fontaine des jardins,

-          Une enceinte fortifiée – civitas Dei – cité de Dieu,

-          A droite, une étoile – stella maris – étoile de la mer,

-          La lune – pulcra ut luna – belle comme la nuit,

-          Un olivier – oliva speciosa – olivier à l’aspect brillant,

-          Un puits – puteus aquarum viventium – puits d’eau vive,

-          Un miroir – speculum sine macula – miroir sans tâche,

-          Un cèdre – cedrus exaltata – cèdre surélevé,

-          Un jardin clos – (h)ortus conclusus –

-          Une porte – porta coeli – porte du ciel,

Nous sommes en présence de la Vierge des Litanies avec la formule suivante : «  Tota pulcra es anima mea et macula non est in te » – Tu es toute belle ma bien-aimée et sans aucune tâche – Cantique des cantiques IV,7 –

Une formule complémentaire annonce le couronnement : « Libano veni coronaberis » - Viens du Liban, tu seras couronnée – Cantique des cantiques IV,8 –

L’ensemble de la Dormition a été complété sur le devant par deux groupes de priants provenant du jubé et placés de part et d’autre de l’autel.

A droite de l’autel, se trouve l’édicule du « Pas de l’Ange » commandé en 1425 à Alexandre de Berneval sous l’abbatiat de Gilles de Duremort ; la pyramide est en platre ; le globe et l’ange doré sont du XVIIème siècle.

Face à l’autel, beau tableau du peintre Saint-Igny représentant l’assomption de la Vierge de 1636.

                                                                                                    YDF, septembre 1994.

 

Sources :

-          La Dormition de Fécamp, extrait de l’Abbatiale de Fécamp vue par un artisan par André Paul Leroux, chez L. Durand et fils,

-          Notice historique et descriptive de l’église de la Sainte Trinité de Fécamp par Alexandre Lefort, chez L. Durand, pages 152-154,

-          L’abbatiale de la Trinité de Fécamp par David Bellamy et Françoise Pouge, édition Corlet pages 76-79,

-          Fécamp, l’abbatiale de la Sainte Trinité par J. Daoust, chez L. Durand pages 20-24,

-          L’église de la Trinité de Fécamp par Vallery-Radot, édition Henri Laurens, pages 76-78,

-          La sculpture flamboyante, Normandie, Ile de France, par Jacques Baudouin, édition Créer pages 261-264,