Les maisons de pêcheurs à Fécamp









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Elles se situaient le plus souvent autour du port, mais en retrait de celui-ci, les quais étant plutôt réservés aux sociétés d’armement, de salaisons, saurisseries et autres établissements de pêche ; elles étaient installées dans la rue de Mer, l’artère principale qui menait vers le Marché et vers l’Abbaye, ainsi que plus discrètement dans les rues environnantes, rue Herbeuse, rue Maupas, rue des Corderies, rue d’Etretat, à une époque où le front de mer n’avait de grand intérêt pour personne.

         Construites plusieurs à la fois, par série de deux, trois ou quatre, par tènements, elles étaient une sorte de loi Loucheur avant la lettre ; peut-être était-ce la façon de construire proposée à l’époque par les maçons et les entrepreneurs ; ou plus normalement la marque des investisseurs locaux, voire des sociétés d’armement ; peut-être aussi le résultat de regroupements de plusieurs marins ou familles de marins dans une sorte de coopérative de constructions.

         Les façades étaient très souvent en briques et silex, avec parfois de la pierre de taille en soubassement. La brique était utilisée pour les parements, entourages, bandeaux et corniches, le silex pour les panneaux et remplissages. On parlait aussi de façades en briques et cailloux et dans ce cas, le silex plus rustique, à peine taillé, en forme de cailloux , était destiné à être recouvert d’un crépi de chaux. Plus tard, par suite du manque de silex ou par pure économie, les maisons pouvaient être tout en briques, avec pour seul agrément, non plus le jeu de couleurs des matériaux, mais un décor de panneaux, losanges et autres figures symétriques ou géométriques, parfois en damiers, avec sous la corniche une ligne de briques posées en biais comme les dents d’une scie.

         Avec les volets blancs, pleins en bas et persiennes à l’étage, avec une toiture toujours en ardoises, vous avez ainsi un aspect d’ensemble de ces demeures, à la fois sobre et rustique mais aussi teinté naturellement des matériaux et des couleurs locales.

         La composition intérieure était souvent faite à l’identique : un couloir latéral donnant sur une salle éclairée sur la rue et en prolongement une cuisine sur cour ; le sol était fait d’un côté d’un plancher sur lambourdes et de l’autre en carreaux de terre cuite posés à même la terre battue. Face au couloir, l’escalier en pichepin donne accès au premier étage avec une chambre sur rue, plus grande, destinée aux parents, et une plus petite sur cour ; au deuxième étage, une mansarde et un grenier en terre battue pour maintenir l’isolation des pièces inférieures, éclairés au moyen l’une sur rue et l’autre sur cour de lucarnes à croupe débordante soutenue par des consoles et équipée d’une poulie de levage destinée au stockage du matériel de pêche.

         Dans ces intérieurs, le chauffage était obtenu soit par le poêle à bois, soit par la cuisinière à charbon. Les cheminées n’apparaissent que tardivement, petites en bois peint ou plus rarement en plaques de marbre. Peu de décor en vérité y existait : pas de moulure, pas de staff, pas de lambris ou de boiserie basse sauf dans les maisons les plus récentes. Les peintures étaient laquées couleur sable ou vert d’eau, les papiers peints souvent à ramages ou à fleurs avec accrochées de-ci de-là une image pieuse ou une peinture naïve ayant la marine pour thème.

         Lorsque la construction ne permettait pas de sous-sol, il y avait alors dans la cour sur le côté ou au fond de celle-ci une buanderie avec le bouillot, près à fonctionner chaque semaine mais surtout lors de l’arrivée des marins pour un grand nettoyage des vêtements de  campagne. Pas très loin de là la barrique à cidre que l’on faisait remplir chaque automne par le passage -même dans les rues de Fécamp - de la machine à brasser les pommes ; également le bac de harengs salés, rapporté ou acheté au retour du mari, servant pour l’année, avec le pain et la soupe, à l’alimentation de base de toute la famille. A côté de la buanderie, au fond de la cour, les tinettes avec une fosse à vider une fois l’an.

         L’hygiène moderne ne vint dans ces maisons que tardivement : l’ évier des cuisines s’évacuait longtemps dans le ruisseau, la fosse à vider devint septique ; après la mode des lavabos dans chacune des chambres, il fallut trouver de la place pour un cabinet de toilettes, pris le plus souvent sur la grande chambre du premier étage, en face de l’escalier. L’électricité fait son apparition dans les années 1900 ; auparavant, vers 1840-1860, les rues avaient été pavées en gal de mer de façon à éviter les boues et les eaux sales des mauvaises saisons.

         Pour compléter le décor, signalons dans ces maisons, dans tout ce quartier, les animaux familiers dans les cours mais aussi dans les rues, les enfants un peu partout, les femmes en plus grand nombre que les hommes, les retraités sur le pas de la porte, les veuves laissant retomber à votre passage le voilage de la fenêtre sur rue, les épiceries et les cafés aux angles des rues principales …

         Qui donc habitait ces maisons-là du port ? Les marins : non sans doute pas ou si peu, pendant le repos hivernal, seulement quand la campagne du hareng ne les appelait pas encore ailleurs ; mais assurément les femmes de marins et leurs enfants, les grand-parents aussi pour ceux qui restaient . Les enfants y étaient plutôt nombreux, plus qu’ailleurs, peut-être par réaction ou par défi face à la dureté de la mer. Les femmes, outre les travaux de la maison et l’éducation des enfants à assurer toutes seules, devaient bien souvent, selon l’expression «pour faire bouillir la marmite », travailler dans les salaisons, filatures, corderies et autres maisons ouvrières du pays. Il fallait assurer la nourriture quotidienne mais également le loyer, voire si possible faire des économies afin d’envisager, après quelques bonnes campagnes de pêches et quelques primes accumulées, et cela avant la retraite, l’acquisition d’une maison : celle occupée jusqu’alors si elle se mettait en vente ou une autre plus petite, les enfants n’étant plus à charge à ce moment-là.

         Ces maisons en fait étaient à vendre l’hiver au retour de la pêche. Les marins étaient là, les capitaines aussi ; résultat de toute une vie pour les uns, placement d’une bonne campagne pour les autres, elles étaient payées soit à tempérament, soit par des préteurs privés, sur trois ou cinq ans, soit encore en rentes viagères.

         Mais quelle était donc à cette époque la valeur moyenne des maisons de pécheurs ? Entre mille et deux mille francs , c’est à dire le gain annuel d’un capitaine de pêche, le loyer annuel étant lui de deux cents à quatre cents, correspondant plutôt au revenu d’un patron de doris.

         Conservons ces maisons, leur nature, leurs façades, respectons leur image en mémoire de tout ce que représentait la ville autrefois et de tous ceux qui l’habitaient. Nous devons tout cela, autant à nos ancêtres en mémoire de leur lieu de vie qu’à nos enfants afin qu’ils puissent garder une parfaite image de notre 19ième siècle maritime mais également de notre propre époque non destructrice et respectueuse du passé.      

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