Les frontières maritimes ou la possession des océans

 

Au cours du Bas-Moyen-Age, les problèmes de frontières sur mer commencèrent à être soulevés.

En Méditerranée, Venise eut des prétentions à la juridiction sur toute l’Adriatique, et Gênes sur toute la mer Ligure. Le spécialiste italien Bartole de Sassoferrato rappelait : « L’Etat riverain a autorité sur la mer voisine et ce voisinage était assimilé à deux journées de navigation soit 100 milles romains ou environ 150 km » .

Dans l’Atlantique, la Manche et la Mer du Nord, les grandes puissances riveraines revendiquaient la juridiction sur les mers baignant leurs côtes, sans en rechercher les limites précises. C’était le cas de la France et aussi de l’Angleterre qui se prétendaient toutes deux souveraines de la Manche et aussi de toutes les eaux allant de la Bretagne aux Pyrénées … ce qui sera source d’insolubles conflits.

En Flandre, en Zélande et en Hollande, on tenait au contraire la mer pour libre, ceci dans l’intérêt du commerce ; à partir du 14ème siècle, la Flandre, pour la sécurité de la navigation, proclama qu’une bande de la long de la côte, dite « stroom », en français « estrum » allait être soumise exclusivement à la juridiction flamande ; pour satisfaire aux Hanséates, la Flandre dut même se reconnaitre responsable des actes de violence qui s’y commettaient ; un même engagement fut pris à l’égard des écossais ; la France reconnut le « stroom de Flandre » en 1370, l’Angleterre en 1403, la Hollande et la Zélande en 1414 ; entre temps, la Hollande avait proclamé le Zuiderzee ou « stroom hollandais » en 1394. La profondeur en était estimée à « une vue », c’est-à-dire la distance d’où l’on pouvait discerner la côte et ses constructions, soit trois lieues allemandes ou environ 21 km.

Dans la Baltique, une règle analogue parait avoir existé à Lubeck dès le milieu du 13ème siècle pour sa rade, appelée « petite mer » mais aussi « stroom » au cours du 15ème siècle.

Avec ces évolutions, nous assistons en fait à la formation de la notion de mer territoriale.

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Le XVIème siècle, celui des grandes découvertes et de la fondation des premiers empires coloniaux n’avait pas posé sur le plan juridique le problème de la liberté des mers. Les mers du Nord étaient plutôt libres, les mers du Sud étaient plutôt réservées aux Espagnols et aux Portugais qui s’étaient partagés le Monde lors du traité de Tordesillas de 1493.

Au début du XVIIème siècle, s’engagent les premières véritables controverses sur la liberté des mers et les droits des Etats riverains ; des difficultés survinrent d’abord dans le nord de l’Europe entre l’Angleterre, les Danois et les Hollandais ; les Danois, maîtres de la Norvège, prétendent exercer des droits de souveraineté sur toute l’étendue de la Mer du Nord, proclamée par eux « mer norvégienne » [1]  ; les anglais s’y opposent et prennent une ordonnance en 1609 pour interdire à tous les étrangers de venir pêcher sur les côtes d’Angleterre sans une licence du Roi ; plus tard, en 1635, on proclame la souveraineté de la couronne d’Angleterre sur les « Quatre Mers » entourant l’archipel britannique ; on les appelle « Les Mers de Sa Majesté » [2] .

De leur côté, les hollandais se mettent à invoquer le principe de la « liberté des mers » ; pour leur commerce, ils y avaient bien sûr intérêt ; dans ce cas, la mer et les océans sont ouverts à tous et n'appartiennent à personne. La thèse hollandaise est développée par Grotius en 1609 dans « Mare Liberum » alors que l’anglais John Selden publie un « Mare Clausum » que les juristes de l’époque prennent pour un écrit de circonstance.

La première guerre anglo-néerlandaise (1652-1654) aura là une de ses origines.

La France participe à cette question de possession des mers à propos de la Manche qui la concerne. Richelieu va prudemment écarter toute occasion de conflit, en donnant des ordres pour que les vaisseaux du Roi évitent de rencontrer ceux des Britanniques. Mais Louis XIV dès 1662 ne craint pas de parler haut et fort avec l’affaire du Pavillon; il y va de « la Gloire du Roi » ; la diplomatie envisage une entente mais sans succès ; l’ordonnance sur la Marine de 1689 revendique la priorité du pavillon français sur toutes les mers côtières mais aussi en quelque endroit que ce puisse être ; ce texte est le premier règlement du droit des affaires privées maritimes, les navires, et aussi du droit de la police de la mer …      

C’est alors que s’engage la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697) …

La controverse entre les puissances portait sur la souveraineté des mers côtières mais également sur une marque de reconnaissance de cette souveraineté, à savoir le « droit au premier salut » … Celui-ci consistait dans le fait que L'État concerné réglait, dans ses eaux territoriales, le cérémonial maritime, pour ses propres navires et même avec les navires étrangers qui s’y trouvaient. Le salut était dû à un vaisseau amiral et aucun autre navire ne devait déroger à la règle ... ; en fait, ce droit allait être régulièrement opposé par l’Angleterre, l’Espagne et la France, entre eux-mêmes, mais aussi à certains autres Etats d’un rang inférieur et enfin à toutes les républiques sans exception.

Ce droit prendra fin au cours du règne de Louis XIV qui recommande aux chefs d’escadre d’éviter toute occasion de conflit à ce sujet. En droit international, la notion de « mer territoriale » désormais triomphe ; on admet maintenant universellement que la puissance de l’Etat riverain s’étend sur toute la frange littorale que couvre le canon, la portée extrême à cette époque n’étant que de 800 mètres.

Concernant donc la notion d'eaux territoriales, la réflexion est liée à celle du droit des gens, notamment des gens de mer ; et là, deux théories s’opposent, celle qui autorise l’appropriation et le contrôle des mers, et puis celle de l’école du droit naturel qui défend la libre circulation sur les mers avec seulement un droit de contrôle dans les eaux bordières . A propos du principe de cette liberté des mers, un jurisconsulte de Neufchâtel écrit en 1758 dans son ouvrage sur le droit des gens : « Une nation qui veut s’arroger un droit exclusif de la mer et le soutenir par la force, fait injure à toutes les nations ». En fait, nulle personne n’a par la suite cherché à le contredire sur ce point …

Et puis, chez ces derniers de l’école du droit naturel, deux conceptions aussi s'affrontent : pour les uns, le contrôle des bords de mer doit équivaloir à une portée de canon des côtes, dénommée ligne de respect ; pour les autres, il doit couvrir une zone littorale de largeur uniforme. À la fin du xviiie siècle, les principaux États intéressés s'accordent sur une solution de compromis et fixent la limite des eaux territoriales à 3 milles des côtes (5 km environ) ; cette convention devait être admise par les États-Unis d'Amérique en 1793 et par d'autres nations au cours du xixe siècle ; cependant, la limitation à 3 milles ne sera jamais universellement reconnue et ne constituera donc pas vraiment une norme de droit international.

Les détroits – Sund, Gibraltar, Dardanelles - sont des endroits stratégiques ; ils sont gérés depuis longtemps par des traités de libre circulation, et parfois par une taxe de passage de transit.

Par la suite, la largeur des eaux territoriales passera à 6 miles marins et enfin à 12 miles lors de la convention internationale sur les droits de la mer à Genève en 1958 puis à Montego Bay le 10 décembre 1982 ; enfin, vont apparaître les zones économiques exclusives ou Z.E.E., larges de 200 miles avec une liberté de circulation mais une interdiction de puiser les ressources, de pêcher, sans l’accord du pays concerné.

Par temps de paix, les droits de la mer allaient être ainsi réglés, mais par temps de guerre, les eaux maritimes constituaient un champ de bataille où les opérations devenaient hostiles et le plus fort s’y imposait au mépris des règles établies ; elles formaient souvent, en parallèle des guerres terrestres, un autre ou second champ de bataille avec des actions et des rapports de force souvent différents ; il était seulement possible d’y ménager des « trêves marchandes ou pècheresses » et puis d’y faire respecter « les droits des neutres » ainsi que dans les détroits « les droits de passage inoffensif » .

 

                                                                                                                        YDF

Sources :

-          Histoire des relations internationales ; le Moyen-Age par François L. Ganshof - les temps modernes par Gaston Zeller, Direction Renouvin chez Hachette

-          Histoire du droit maritime à partir de plusieurs ouvrages

Notes :



[1] Les Danois également tiennent les clefs de la Baltique et exigent de recevoir le premier salut des navires circulant au-delà du Sund ; par le traité de Spire du 23 mai 1544, Charles Quint y imposa une première internationalisation du détroit .

2 Précédemment, à la suite du partage du monde entre l’Espagne et le Portugal, Elisabeth d’Angleterre indique à l’adresse des espagnols que « l’usage de la mer et de l’air doit être commun à tous … » ; les quatre mers britanniques étaient à l’est l’océan Germanique ou Septentrional, au sud l’océan Britannique ou communément Channel, à l’ouest l’océan Vergivien ou mer Deucalidonienne puis mer d’Irlande, au nord l’océan Hiperboréen ou Calédonien puis mer d’Ecosse.