Le voyage de Napoléon III en Bretagne en août 1858

 

-         son passage à Saint-Malo -

 

Le 17 août 1858, à cinq heures du soir, Leurs Majestés en provenance de Dinan et Pleudihen, arrivaient à Saint-Servan.

Cette ville, voisine de Saint-Malo, dont elle n'est séparée que par un étroit bras de mer, se déploie dans la presqu'île du Clos-Poulet, pays riche, très-peuplé et rempli de charmantes maisons de campagne, qui jouissent en même temps des agréments que présentent les bords de la mer.

A l'entrée de la ville, sous un arc de triomphe orné de trophées d'armes et sur lequel on lisait : A LA DYNASTIE NAPOLÉONIENNE ! le préfet d'Ille-et-Vilaine, le sous-préfet de Saint-Malo, le maire de Saint-Servan, le corps municipal, l'administration de la marine, ayant à sa tête M. l'amiral Tréhouart, le clergé, les congrégations religieuses, les fonctionnaires de tous ordres, ont reçu Leurs Majestés, auxquelles le maire de Saint-Servan (Edouard Michel Gouazon) a dit :

« SIRE, Daignez agréer les respectueux hommages de la ville et de la commune entière de Saint-Servan.Nous n'avons point à offrir ici à Votre Majesté les splendeurs de Cherbourg, ni les pompes militaires de Brest et de Lorient. Mais, au sein de notre paisible et bonne population, qui sollicita des premiers l'insigne honneur de Sa visite et en gardera à jamais le souvenir le plus reconnaissant, Votre Majesté trouvera tous les coeurs fidèles, dévoués, et nulle part, Sire, acclamations plus sincères n'auront salué le passage de l'Élu de la nation, du monarque éminent à qui la France doit le rétablissement et le maintien de l'ordre, et tout à la fois la gloire des armes et celle de la paix ».

« MADAME, La renommée de Votre caractère noble et ferme, comme celle de Votre bonté Ineffable, Vous a depuis longtemps, précédée parmi nous. Croyez que mes paroles ne sauraient Vous exprimer tout le bonheur que nous donne aujourd'hui l'auguste et gracieuse présence de Votre Majesté. Qu'Elle daigne agréer notre amour et nos voeux pour Elle et pour le Prince Impérial, précieux Enfant, notre espoir comme le sien ».

« SIRE, En traversant Saint-Servan, Votre Majesté appréciera l'avenir que notre jeune cité peut prétendre, et tout nous est garant que nous en devrons le développement progressif et rapide à Votre volonté paternelle et puissante.
Sire, alors, comme aujourd'hui, Saint-Servan redira avec gratitude et enthousiasme : Vive l'Empereur ! vive l’Impératrice ! vive le Prince Impérial ! »
.

Sa Majesté a répondu que le but qu'Elle se proposait en visitant la Bretagne était de s'occuper de toutes les questions qui pouvaient aider au développement de sa prospérité. Elle a remercié le maire des sentiments que ce magistrat venait de Lui exprimer au nom de la population de Saint-Servan.

En ce moment, l'Impératrice a reçu l'hommage d'une corbeille de fleurs qui Lui était offerte par les jeunes filles de la ville, et le cortège impérial a traversé la ville dans toute sa longueur. Sur son passage, la haie était formée par les décorés de la Légion d'honneur, les médaillés de Sainte-Hélène, les sapeurs-pompiers, la troupe de ligne et deux cents petits enfants très élégamment habillés en mousses, portant chacun un drapeau tricolore, et coiffés d'un chapeau de paille entouré d'un ruhan, sur lequel on lisait : Prince Impérial. Venaient ensuite les corporations ouvrières, au nombre de douze, portant chacune sa bannière. Les cris de vive l'Empereur! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! se faisaient entendre sans interruption. On remarquait, parmi les décorations qui ornaient le parcours des Souverains, un arc de triomphe représentant un donjon moyen âge, avec ses créneaux, sa herse et tous les accessoires obligés d'une construction de ce genre, Plus, loin, sur une colonne de granit, on avait placé le buste de l'Empereur ; ailleurs, dans un ermitage rustique, sous une grotte artificielle s'élevait la statue de la Mère de Dieu avec ces inscriptions :  Ô MARIE ! PROTÉGE LA FRANCE ! - Ô MARIE ! PROTÉGE L'EMPEREUR !.

Enfin, d'autres monuments riches et élégants conduisaient Leurs Majestés presque jusqu'à l'entrée de Saint-Malo.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

Assise sur un rocher que la mer entoure de toutes parts à mi-marée, et reliée au continent par le Sillon, belle chaussée de 200 mètres de longueur, la ville de Saint-Malo présente un aspect original et caractéristique : c’est un point de défense, c'est une citadelle. Ses remparts élevés sont battus incessamment par les vagues, et ses tourelles gigantesques semblent avoir leurs fondements creusés dans les abîmes mêmes des eaux. On y voit encore une des tours du château bâti en 1513 par Anne de Bretagne, et qui porte le nom de Qui-Qu'en-Grogne, parce que cette fière Souveraine l'avait construit malgré l'opposition des seigneurs et du clergé, et y avait fait écrire : « Qui qu'en grogne, ainsi sera : tel est mon bon plaisir ».

La population se multipliant sur un terrain qu'il n'est pas possible d'étendre, s'est agglomérée à Saint-Malo dans des rues étroites, dont les maisons très-élevées sont toutes rapprochées les unes des autres. C'est une ville de commerce maritime ; elle a donné le jour à plusieurs grands hommes, tels que Maupertuis, Duguay-Trouin, Jacques Cartier, qui découvrit le Canada en 1534, Labourdonnais, Lamennais et Chateaubriand, qui dort au bruit des flots sur le rocher désert du Grand-Bé.

De Saint-Servan à Saint-Malo, l'espèce d'isthme qui joint la ville au continent, et que l'on appelle le Sillon, était transformé en une avenue de mâts vénitiens, de décorations et de monuments remarquables. En avant des quais qui bordent les remparts, un arc de triomphe gigantesque portait cette inscription : A L'EMPEREUR ! LA VILLE DE SAINT-MALO RECONNAISSANTE.

Sur les colonnes étaient rappelées quelques dates célèbres dans l'histoire du règne de Napoléon III, et à l'intérieur on avait inscrit les découvertes dues aux Malouins, et les noms d'une foule de marins illustres nés dans le pays. C'était comme le cortège des gloires du passé venant s'associer aux hommages rendus par les populations à la gloire pacifique de l'homme fort qui domine le siècle présent.

Voyage de Napoléon III et de son épouse Eugénie en Normandie et en Bretagne.

C'est au milieu d'un immense concours de peuple, au bruit du canon, aux acclamations de la foule et à la clarté d'un rayon de soleil qui perce enfin la nue, que le maire de Saint-Malo (Charles Pierre Rouxin 1814-1891) reçoit au nom de la ville les Augustes Visiteurs, en prononçant les paroles que suivent :

« SIRE, C'est un jour à jamais mémorable pour la ville de Saint-Malo que celui où il lui est permis d'offrir à Votre Majesté les clefs que lui ont transmises sans tache le courage et la fidélité de nos ancêtres.
Pure de toute souillure étrangère, comme l'hermine qui brille dans ses armes, loyale comme sa devise, cette antique cité de la rude Armorique est aussi fière qu'heureuse de l'hommage qu'elle rend à son légitime Souverain, à l'Élu de la France, au prédestiné de la volonté divine.
Notre bonheur est comblé, Madame, par l'éclat qu'ajoute à cette solennité la présence de l'Auguste Compagne de l'Empereur, de la Mère du Prince Impérial, de la belle Souveraine dont la grâce et les vertus chrétiennes ont pu rehausser encore la splendeur du trône.
La Bretagne tout entière, depuis ses villes épiscopales jusque dans ses plus modestes hameaux, a tressailli d'enthousiasme au contact électrique de Vos Majestés, elle a donné sa foi à la glorieuse Dynastie des Napoléons, elle saura la garder avec la fermeté patriotique et religieuse d'un peuple qui, comme vous le disait naguères un éloquent prélat breton, ne fit jamais trahison.
Recevez ici l'expression du profond dévouement de nos coeurs dont les voeux se résument dans les trois cris de la France. Vive l'Empereur ! vive l'Impératrice ! vive le Prince Impérial ! ».

Sa Majesté, en répondant au maire, a dit que, depuis longtemps Elle désirait, visiter la Bretagne, et en particulier une cité dont les annales sont glorieuses et à laquelle tant d'hommes illustres ont dû la naissance.

Le cortège s'est ensuite avancé le long des remparts ; sur son passage, plusieurs centaines d'enfants habillés de blanc mêlaient leurs acclamations à celles des médaillés de Sainte-Hélène, qui formaient la haie avec eux : c'était comme l'union du passé et de l'avenir. Les sapeurs-pompiers, les marins, les douaniers, les députations des communes rurales, les corporations ouvrières, les élèves du collège et des écoles, se tenaient de chaque côté de la voie suivie par Leurs Majestés, et de distance en distance des corps de musique se faisaient entendre.

C'était un spectacle vraiment remarquable que celui de ce cortège splendide, salué par un bruyant enthousiasme, qui s'avançait entre les noires murailles de la vieille cité et les flots qui venaient mourir à ses pieds. Ces vieux murs avaient été couverts de décorations antiques, et les devises des anciens ducs de Bretagne s'y mêlaient aux inscriptions nationales de la France Napoléonienne.

Le cortège pénètre enfin dans la ville par la porte de Dinan, et le coup d'oeil change sans cesser d'être pittoresque : une rue longue et étroite se présente, elle est comme une forêt de drapeaux, de verdure et de trophées. Au milieu d'elle, au-dessus des Souverains, est suspendue dans les airs la couronne impériale, soutenue sur deux colonnes qui s'appuient de chaque côté de la rue sur deux poupes de navires ; sur l'une, on lit : A L’EMPEREUR NAPOLÉON III ! - LA GLOIRE. - DUGUAY-TROUIN !

et sur l'autre : A L'IMPÉRATRICE EUGÉNIE ! LA GRANDE-HERMINE. - JACQUES CARTIER !

Ce bel arc de triomphe, remarquable par l'élégance et l'originalité de sa construction, a été élevé par M. Dandin, négociant armateur et constructeur de navires à Saint-Malo. Un souvenir historique donne encore plus de prix à cette idée. A l'époque où Jacques Cartier quitta ce rivage pour aller découvrir le Canada, la mer occupait encore tout l'emplacement du quartier de la porte de Dinan, et le chantier d'où a été lancée la Grande-Hermine était établi à l'endroit même où M. Dandin a rendu cet hommage à Leurs Majestés.

Arrivées à la sous-préfecture, après avoir reçu devant l'ancienne cathédrale les hommages du clergé, Leurs Majestés ont trouvé sous le péristyle une députation de jeunes filles qui ont été présentées par Mme de Rivière, femme du sous-préfet ; l'une d'elles, Mlle Rouxin, fille du maire, a dit à l'Impératrice :

« MADAME, Daigne, Votre Majesté recevoir ce modeste présent, puisse-t-Elle voir dans ces fleurs, oeuvre du Tout-Puissant, emblème des vertus et des grâces qui brillent sur le trône de France, la vive expression des voeux ardents que nos coeurs forment pour Votre bonheur ».

En ce moment, de jeunes enfants, habillés en mousses, fils de pêcheurs et de marins du port, ont offert à Leurs Majestés, pour le Prince Impérial, un petit navire fait de bois précieux, dont la délicate sculpture est regardée comme un chef-d'oeuvre. L'un ces enfants, le jeune Mallard, s'est exprimé en ces termes :

« MADAME, Nos coeurs sont profondément émus du bonheur qui nous est accordé d'offrir à Votre Majesté un modèle de l'art de nos pères. Daignez agréer ce léger présent comme l'expression la plus vive de l'amour des ouvriers de Saint-Malo, pour le grand Empereur qui gouverne la France avec tant de gloire et de Sagesse, pour celui qu'un éloquent prélat breton vient d'appeler le Père du peuple, pour notre gracieuse Souveraine, la Mère du Prince Impérial, pour Votre Fils bien-aimé que Dieu appelle de si hautes destinées.
La marine illustra nos ancêtres, leur bravoure leur mérita du grand roi l'honneur d'être appelés seuls à composer l'équipage du vaisseau-amiral de ses flottes. Heureux des bienfaits de la paix, nous serions fiers, si la défense de la patrie l'exigeait un jour, de nous montrer dignes de ces nobles souvenirs sur les flottes du Prince Impérial dont la personne est si intimement liée à l'avenir et au bonheur de la France. Vive le Prince Impérial ! »
.

L'Impératrice a paru enchantée et a prié quatre des jeunes mousses de monter le petit navire dans ses appartements.

Quelques moments après l'arrivée de Leurs Majestés à l'hôtel de la sous-préfecture, a eu lieu la réception des autorités religieuses, judiciaires, civiles et militaires, en tête desquelles on remarquait M. Le comte Caffarelli député ; M. le préfet d'Ille-et-Vilaine et le sous-préfet de Saint-Malo. - S. Exc. Le major général Mundy, gouverneur de Jersey ; le capitaine Store, commandant de la station navale de Jersey ; le major Godrax, aide de camp du gouverneur ; M. Van der Brook, consul général des Pays-Bas, et plusieurs autres représentants des puissances étrangères ont été présentés à Leurs Majestés.

Pendant les réceptions, le président du tribunal civil de Saint-Malo (Armand Houitte de la Chesnais 1801-1888 ?) a prononcé le discours suivant :

« SIRE, Le tribunal civil de Saint-Malo est heureux de renouveler, entre les mains de Votre Majesté, l'hommage de sa fidélité. En présence de l'Héritier du plus grand nom du monde moderne, quel magistrat ne sentirait tressaillir les sympathies les plus vives de son intelligence pour ce nom qui rayonne au fronton du temple du droit civil ? Comment ne sera-t-il pas profondément reconnaissant envers la Providence qui, deux fois en un siècle, a fait sortir de la même race le chef qui devait être le salut et la gloire de sa patrie ?
Nous sommes fiers de proclamer ici que la charge d'administrer la justice nous est rendue facile par l'esprit de la population. Un magistrat (le président de Mesmes) disait à un roi de France que les sujets les plus courageux étaient les plus essentiellement soumis. Cette vérité est manifeste dans ce pays, dont l'histoire est celle d'hommes énergiques et dévoués, paisibles parce qu'ils sont forts.
Daigne Votre Majesté, daigne l'Auguste Princesse dont la présence inonde de joie nos cœurs, agréer les voeux, que nous formons pour la conservation de Leurs jours si précieux ; et pour la continuation de la Dynastie par le jeune Prince accordé par le Ciel à la France et à Vous »
.

Le président du tribunal de commerce (xx) a dit à Sa Majesté :

« SIRE, Le tribunal de commerce de Saint-Malo supplie Votre Majesté de daigner agréer l'assurance de son dévouement et de la profonde reconnaissance dont il est pénétré, Sire, pour Votre venue dans cette antique cité, dont les annales, qui déjà ne sont pas dépourvues de toute gloire, s'enrichiront encore de l'éclatant témoignage de bienveillance que manifeste Votre auguste présence si ardemment désirée.
Voulez-Vous bien nous permettre, Sire, de déposer aux pieds de S. M. l'Impératrice l'humble hommage de notre respectueuse admiration, et d'exprimer nos voeux pour le prince Impérial ? »
.

Enfin, le président de la chambre de commerce (Auguste Hovius 1816-1896) a prononcé les paroles suivantes :

« SIRE, La chambre de commerce de Saint-Malo vient exprimer à Votre Majesté combien la population de cet important arrondissement commercial est heureuse et fière de l'insigne honneur que Vous daignez lui faire en venant la visiter.
Je suis chargé, Sire de mettre aux pieds de Votre Majesté l'expression de son attachement à Votre Personne, à Votre Dynastie, ainsi qu'aux institutions fortes dont Vous avez doté le pays, et à l'abri desquelles la France vit en paix, puissante et respectée de tontes les nations.
Sire, la chambre de commerce a une autre mission à remplir. Elle doit encore soumettre à Votre Majesté des questions du plus haut intérêt pour notre arrondissement. Elles font l'objet d'un mémoire qui sera mis sous les yeux de Votre Majesté. Nous espérons qu'elles seront accueillies favorablement, et que Vous voudrez, Sire, perpétuer le souvenir de Votre passage au milieu de nous en dotant notre pays des seuls moyens de le faire sortir de l'état d'affaissement dans lequel il tombe de plus en plus.
Votre Majesté peut compter sur notre durable et vive reconnaissance »
.

L'Empereur a répondu à ces discours de la manière la plus bienveillante.

Après les réceptions officielles, on a introduit prés de Leurs Majestés une députation de jeunes filles de Cancale qui ont offert à l'Impératrice un panier d'huitres, orné de fleurs en coquillages, et Lui ont adressé des paroles empreintes du plus touchant dévouement pour l'Empereur, l'Impératrice et le Prince Impérial.

Avant et après le dîner, Leurs Majestés se sont, à diverses reprises, présentées au balcon de la sous-préfecture : l’accueil enthousiaste qui Leur était fait par la foule immense qui y stationnait, a pu Les convaincre de l’amour des populations d'Ille–et-Vilaine.

Le soir, un bal était offert aux Souverains par les deux villes réunies de Saint-Malo et Saint-Servan : deux vastes salles, décorées avec luxe et bon goût, contenaient de nombreux invités. Leurs Majestés ont dansé deux quadrilles qui étaient ainsi composés :

L’Empereur et Mlle Rouxin, fille du maire ;

L'Impératrice et le maire de Saint-Malo ;

S. Exc. le gouverneur de Jersey et Mme de La Bédoyère, dame du palais ;

Le président du tribunal et Mme Hardy, femme du commandant de place ;

L'amiral Tréhouart et Mme Hovius femme du président du tribunal de commerce ;

Le comte Caffarelli, député, et Mme de Rivière, femme du sous-préfet.

Dans la seconde salle :

L'Empereur et Mme Gouazon, femme du maire de Saint-Servan ;

L'Impératrice et le maire de Saint-Servan ;

Le général Duchaussoy et Mlle Duchesnais ;

Le sous-préfet et Mme Hovius ;

Le procureur impérial et Mme Houitte de La Chesnais ;

Le lieutenant-colonel Hardy et Mlle Rouxin.

Après avoir parcouru les salons, où leur présence causait la joie la plus vive, Leurs Majestés se sont retirées vers minuit, au milieu des démonstrations les plus sympathiques.

Au dehors, les deux villes, où s'étaient amoncelées tout le jour de joyeuses populations, présentaient le spectacle de leurs illuminations, et de leurs feux d'artifice. Le bosquet de la place du château était parsemé de lanternes vénitiennes. La façade de l'église, la croix qui surmonte cet édifice, n'étaient que flammes. Le môle des Noires étendait dans l'avant-port une chaîne lumineuse. Les façades des maisons particulières étaient généralement illuminées et versaient dans toutes les rues le jour le plus brillant. Dinard répétait le même coup d'oeil sur l'autre rive. La tour de l'église de Saint-Servan, dominant cet ensemble, élevait dans l'azur une pyramide de lumières. Le port de Solidor, la place d'Armes, le quartier des Quatre-Pavillons, se faisaient aussi remarquer par l'éclat et la disposition de leurs feux.

Jusqu'à minuit la population stationna, sur la place ; un certain nombre d'habitants de la campagne y dansèrent jusqu'au matin, faute d'avoir trouvé des logements pour se reposer.

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Le lendemain 18 août 1858, dès huit heures le matin, l'Empereur sortait de l'hôtel de la sous-préfecture, accompagné du ministre de la guerre, du général Niel, de l'inspecteur divisionnaire des ponts et chaussées, du directeur des fortifications, du maire et du sous-préfet. Sa Majesté a visité les travaux qui s'exécutent au grand bassin de retenue, aux écluses, etc. L'Empereur a examiné sur place la question soulevée par le commerce de Saint-Malo relativement à l'agrandissement de la ville du côté de l'ouest, et Sa Majesté a prescrit aux chefs des divers services d'étudier le plus promptement possible ces projets dont Elle a posé les bases Elle-même, et qui seront de nature à concilier tous les intérêts engagés dans cette question.

L'Empereur, après avoir parcouru à pied les quais du grand bassin Est, est rentré en ville, puis s'est dirigé sur le château, construit à l'extrémité du Sillon, dont Il a visité en grand détail les curieuses fortifications élevées par la reine Anne au commencement du XVIème siècle.

En sortant du château, l'Empereur a parcouru les vieux remparts de la ville qui font face au nord. Dans cette promenade, Sa Majesté s'est entretenue longuement du projet d'agrandissement de la ville demandé de ce côté, et là aussi l'Empereur a indiqué la direction à donner aux études de nouveaux projets qui, tout en élargissant l’espace sur lequel la ville pourra s'étendre, ne compromettront en rien les intérêts de la défense.

Leurs Majestés sont montées en voiture à dix heures et demie, après avoir reçu la visite, de l'amiral Bouvet, âgé de quatre-vingt-trois ans, qui a voulu se faire conduire auprès de Leurs Majestés pour Leur offrir ses hommages. Elles ont passé devant l'église, où se tenait un nombreux clergé précédé du curé, qui a remercié les illustres bienfaiteurs de son ancienne cathédrale, à laquelle Leur munificence va permettre de joindre un clocher qui lui manquait. Partout, sur Leur passage, Elles recevaient les témoignages les plus expressifs de l'affection et du respect du peuple.

Le cortège impérial a retrouvé, de Saint-Malo à Châteauneuf, toutes les populations qui, la veille, s'étaient portées sur le passage de Leurs Majestés ; mais le soleil qui ajoute tant à la pompe des fêtes populaires, et que manquait hier, brillait aujourd'hui de tout son éclat. Le canon de Châteauneuf a salué le passage de l'Empereur.

Sur sa route, le cortège impérial a rencontré, comme les jours précédents, un très-grand nombre d'arcs de triomphe.

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(Sources : Récit du voyage de leurs majestés l'empereur et l'impératrice en Normandie et en Bretagne par Jean-Marie Poulain-Corbion éditeur Amyot Paris 1858)