Le principe de précaution

 

Lors de l’élaboration d’un nouveau texte législatif ou réglementaire, de nombreuses réflexions doivent avoir lieu ; au-delà même du contenu du texte, il faut se pencher sur son application dans le temps et dans l’espace, et aussi sur d’autres points comme celui du principe de précaution.

La précaution est une attention positive portée par les corps constitués tant sur la rédaction que sur l’application d’un texte à la société toute entière ; si l’on comprend assez bien que les règles en cours sont manifestement à modifier ou à refondre, il faut aussi comprendre qu’elles gèrent, et cela est la vie, des situations nombreuses, évolutives, complexes et parfois entremêlées.

Cette précaution fait partie du langage courant mais elle a aussi été érigée en principe et puis elle a acquis une portée juridique que l’on détaille ci-après :

Les textes applicables :

La Constitution : en février 2005, le Parlement  réuni en Congrès a inscrit dans la Constitution la Charte de l'environnement, installant par là même le principe de précaution (art. 5) au niveau le plus élevé de la hiérarchie des normes juridiques, mais dans une rédaction différente, plus précise que la loi Barnier ci-après :

« Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veilleront, par application du principe de précaution, et dans leurs domaines d'attribution, à la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

L'article 5 de la charte précise que les «autorités publiques veillent, par application du principe de précaution, à la mise en oeuvre d'application des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage».

En 2007, la Commission pour la libération de la croissance française – CLCF – avec à sa tête Jacques Attali alerte le Président de la République sur les dangers du principe de précaution tel qu’il figure dans la Constitution, estimant qu’il risquait d’être un obstacle à la croissance …

Un Comité de la Prévention et de la Précaution avait été institué par arrêté du Ministère chargé de l’Environnement du 30 juillet 1996 avec pour missions de :

-            Contribuer à mieux fonder les politiques du ministère sur les principes de prévention et de précaution,

-            Exercer une fonction de veille, d’alerte et d’expertise pour les problèmes de santé liés aux perturbations de l’environnement,

-            Faire le lien entre d’une part les actions de recherche et la connaissance scientifique et d’autre part l’action réglementaire.

La loi Barnier du 2 février 1995, codifiée à l’article L 110-1 du code de l’environnement, stipule : « Le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable … »

 

Le principe de précaution avait été pour la première fois formulé en 1992 dans le principe 15 de la Déclaration de Rio : « En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard l’adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l’environnement. » 

 

La jurisprudence :

A la Cour Européenne des Droits de l’Homme

Application du principe concernant une exposition au cyanure en Roumanie – même à défaut d’un lien de causalité – Arrêt du 27 janvier 2009 affaire Tatar/Roumanie req 67021/01

A la Cour de Justice de l’Union Européenne

Le principe de précaution justifie l’adoption de mesures restrictives uniquement quand il s’avère impossible de déterminer avec certitude l’existence ou la portée du risque allégué en raison de la nature insuffisante, non concluante ou imprécise des résultats des études menées, mais que la probabilité d’un dommage réel persiste dans l’hypothèse où le risque se réaliserait – CJUE 2010 Afton, CJUE commission/France -

Le principe y est interprété largement :

-        Affaire de transmission de la maladie de la vache folle, arrêt du 5 mai 1998 C157/96 et C180/96

-        Af. de transfert de résistance aux antibiotiques de l’animal à l’homme, arrêt du 11 septembre 2002 T13/99 et T70/99

-        Af. de protection de la nature, arrêt du 7 septembre 2004 C127/02

-        Af. de traitement des eaux usées, arrêt du23 septembre 2004, C280/02

Au Conseil Constitutionnel

Décision 2017-749 DC - 31 juillet 2017 - Accord économique et commercial global entre le Canada, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part - Conformité

Décision 2016-737 DC - 04 août 2016 - Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages - Non conformité partielle

Décision 2014-694 DC - 28 mai 2014 - Loi relative à l'interdiction de la mise en culture des variétés de maïs génétiquement modifié - Conformité

Décision 2013-346 Question Prioritaire de Constitutionnalité - 11 octobre 2013 - Société Schuepbach Energy LLC [Interdiction de la fracturation hydraulique pour l'exploration et l'exploitation des hydrocarbures - Abrogation des permis de recherches] - Conformité

Décision 2008-564 DC - 19 juin 2008 - Loi relative aux organismes génétiquement modifiés - Non conformité partielle - effet différé

Décision 2001-446 DC - 27 juin 2001 - Loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception - Conformité

 

Au Conseil d’Etat : 152 décisions sur 20 ans

Arrêt Association Greenpeace France du 25 septembre 1998 avec un sursis à exécution d’un arrêté du Ministère de l’Agriculture et de la Pêche autorisant la commercialisation de variétés de maïs génétiquement modifiés

A la Cour de Cassation : 120 décision en 20 ans

Ce qu’il faut retenir : le principe de précaution suppose par définition une incertitude scientifique sur le risque …

Il ne s’applique pas quand le risque, ici de pollution, a été formellement exclu par un rapport d’expertise judiciaire (Cass Civ 3ème du 3 mars 2010 n°08-19108).

 

Et par ailleurs

Le principe de précaution est invoqué dans la vie de tous les jours, à tout moment dans tous les secteurs possibles : la santé, la médecine, les vaccinations, la sécurité, l’alimentation, la bioéthique, les assurances, la comptabilité, le nucléaire, les pesticides, les OGM etc … par exemple pour l’arrêt d’un trafic aérien suite à l’éruption d’un volcan …

Il est invoqué aussi et souvent en politique, où les discours tanguent entre la croissance nécessaire, le besoin de progrès scientifique et d’innovation et puis pour les uns la nécessaire retenue, la prudence, les risques d’erreur à éviter que d’autres qualifieraient, selon le camp où l’on est, de paralysie et d’obstacles inutiles, d’entrave à l’économie …

Il est invoqué par les défenseurs de l’environnement, pour l’application de l’article L 110-1 ci-dessus mais dans bien d’autres cas ; l’étude d’impact correspond au principe

Conclusion : le principe de précaution est fréquemment sous-entendu mais il est omniprésent ; à nous de prendre connaissance à chaque instant de son utilité et de ses limites.

                                                                                                                                 YDF

A consulter :

-        Article dans Wikipédia

-        Le principe de précaution, définitions, applications et gouvernance par Didier Bourguignon décembre 2015, les publications du Parlement Européen

-        Le principe de précaution devant le Conseil Constitutionnel par Renaux Denoix de Saint-Marc, communication à l’Académie Nationale de Médecine du 25 novembre 2014, à consulter sur le site du Conseil Constitutionnel.