En Italie, la Coltura Promiscua

 

Le paysage italien a été, depuis toujours, et comme partout ailleurs, modulé par les hommes, ici les romains, selon leurs besoins et selon leurs goûts ; ainsi créèrent-t-ils dans leur environnement ce qu’on appela la « Coltura Promiscua » ou encore la « Coltura Mista ».

Il s’agit d’une association de cultures, des arbres, des vignes et des céréales en vue d’une production variée ; de pratique ancienne dans l’Italie du Nord, surtout depuis le Moyen Age jusqu’au 18ème siècle, nous sommes en présence d’une façon traditionnelle de cultiver la terre : sur une même parcelle, on trouve des plantes herbacées - légumes, céréales ou chanvre - des arbustes ou des lianes - telle la vigne - et des arbres ; les uns servent de protection ou de support aux autres, ils se complètent et permettent d'utiliser la terre au maximum de ses possibilités ; les plantes étagées peuvent être placées l'une à côté de l'autre : leurs besoins nutritifs sont différents ; il en est de même pour la recherche de la lumière en utilisant autant le bénéficie de l'étagement que le décalage de la feuillaison dans le temps.

Ce mode de culture protège le paysan, il limite les risques de production, avec les incidents climatiques ou les maladies sur les cultures, également pour ce qui concerne le cours des denrées ; il donne un travail régulier à une main-d'œuvre nombreuse pour la taille des arbres et des arbustes, et aussi les différents travaux périodiques concernant les céréales ou la vigne .

Les termes français les plus proches sont sans doute « l’agriculture complantée » ou « les cultures mélangées » ou encore « associées », auquel il faut joindre celui d’agriculture vivrière  [1] .

 

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L’HISTOIRE

Dès l’antiquité, l’Italie se couvre de vignes, d’oliviers, de vergers ; les romains sont attachés au décor arboré et jardiné ; il y eut très tôt l’association des trois cultures, l’olivier, la vigne et le blé, qui se complètent, s’équilibrent et sustentent autant l’exploitant que la population locale…

La pratique culturale consistant à faire grimper la vigne dans les arbres ou les buissons existait déjà ; les arbres étaient essentiellement des ormes ; la vigne sur ceps était appelée « vinea », celle entrelacée à des arbres « arbustum ».

La place importante de la vigne,  à plusieurs moments, avait dû être maitrisée : l’empereur romain Domitien ordonne en 92 après JC l’arrachage en Gaule de plus de la moitié des vignes et interdit toute nouvelle plantation ; il y avait là la pression des grands propriétaires viticoles italiens mais aussi la volonté de préserver le niveau de production céréalière ; la mesure fut levée par Probus en 276 … [2]

Au Moyen-Age,

Le système perdure ; s’y ajoute les légumes qui cultivés en Italie sont nombreux et variés : les courges, aubergines, citrouilles, artichauts, salades romaines, les haricots, etc… ; la France ne les connaitra qu’après la Renaissance …

La Renaissance

Dès le 15ème siècle et même sans doute avant, l’Italie devient le foyer d’un rayonnement nouveau ; la péninsule, surtout à Florence et Venise, s’ouvre aux arts, à la littérature, mais aussi au commerce lui-même renouvelé par les grandes découvertes ; l’agriculture jusqu’alors essentiellement vivrière, devient une véritable source de production, basée sur la vigne, les fruits et légumes et l’élevage intensif.

La plaine de Pô se transforme grâce à l’irrigation …

Montaigne (1533-1592) voyage en Italie en 1580 : en Toscane, dans la région de Lucques-Pistoia, les champs, extrêmement fertiles, semblaient être des jardins ; les chemins droits étaient clos d’arbres, rattachés de vignes qui font la haie, chose de grande beauté …

Au cours du 18ème siècle, « Le Grand Tour », réalisé en Europe mais surtout en Italie attira des personnalités en tous genres, hommes politiques, littéraires, artistes, ecclésiastiques, militaires mais aussi des scientifiques, tous épris du « désir d’Italie » ; parmi eux des agronomes, intéressés par les méthodes culturales du pays.

Déjà l’abbé Nollet ou l’astronome Lalande auteur d’un « voyage d’un français en Italie » de 1769 avaient été admiratifs des travaux agricoles et hydrauliques menés dans la péninsule.

Par la suite, il y eut Rozier, Chalumeau, Beaumont et surtout Lullin de Chateauvieux. Chalumeau y vint en 1776, accompagnant le duc de Laval et Beaumont vers 1780 accompagnant le duc de Gloucester.

Jacob-Frédéric Lullin de Chateauvieux (1772-1842), dans ses « Lettres écrites d’Italie en 1812 et 1813 » suite à un voyage effectué 20 ans auparavant, décrit les systèmes de propriété des terres, les systèmes d’irrigation ou de cultures. Il complète les annotations de Young (fin 18ème) sur la Lombardie et de Sismondi (1801) sur la Toscane. Lullin étudie le cadastre thérésien (créé en 1766 dans les territoires sous domination des Habsbourg), le système des impôts et puis la variété des cultures, aussi l’assolement dans la culture des terres ; l’étude se fait régions par régions, puis par zones pour ressortir les caractères propres à chacune. Il cite pour les distinguer la culture cananéenne, des oliviers, en gradins, la culture patriarcale, la culture pastorale … Il analyse la complémentarité du maïs et des céréales… Il recherche les façons de mettre en valeur le terrain, pour une agriculture « raisonnable et productive ».

Arthur Young (1741-1820) agronome anglais, bien connu pour ses « Voyages en France », étudie également  l’Italie du centre et septentrionale au cours de l’année 1789 ; il fait paraître un « Voyage en Italie » édité en 1796 par J. J. Fuchs à Paris.

Jean Charles Léonard Simonde de Sismondi, né à Genève le 9 mai 1773 et mort à Genève le 25 juin 1842, est un historien, essayiste politique et économiste suisse ; il publie un « Tableau de l'agriculture toscane » (Genève, Paschoud, 1801).

Les agronomes italiens sont aussi très actifs et publient également …

Presque tous les voyageurs du 18ème siècle évoquent le bassin de Pô comme étant fertile en blé, en vin et en riz, et comprennent même qu’on se soit tant battu pour s’assurer la possession d’un si bon pays (G-F Coyer, voyage d’Italie, vve Duchesne, 1776)

Chateaubriand dans une lettre de Milan du 21 juin 1803 constate : « Des prairies dont la verdure surpasse la fraicheur et la finesse des gazons anglais se mêlent à des champs de maïs, de riz et de froment ; ceux-ci sont surmontés de vignes qui passent d’un échalas à l’autre, formant des guirlandes au-dessus des moissons : le tout est semé de muriers, de noyers, d’ormeaux, de saules, de peupliers, et arrosé de rivières et de canaux… »

Certains parlent de la Lombardie comme d’un paradis terrestre, composé d’oliviers, de vignes et d’ormeaux, mariés de 1 000 guirlandes, étalant au printemps leurs branchages légers d’un vert si varié, si tendre … (Cambry)

Au XXe siècle, avec l'introduction du machinisme agricole et avec son corolaire, l’exode rurale, la coltura promiscua est abandonnée dans de nombreuses régions, se maintenant toutefois en Émilie, Toscane et Campanie [3] ; sur ces terres fertiles, une main-d’œuvre encore nombreuse exploite des petites parcelles où la vigne s’appuie sur des arbres fruitiers, mais aussi des ormeaux ou des frênes ; ces cultures arboricoles sont complétées par de la céréaliculture, ou encore par des productions de légumes et des cultures plus commerciales.

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Vigne en hautain - gravure d’Antonio Tempesta – Italie – fin 16ème siècle

 

LES VIGNES

Les vignes hautes

Les vignes sont conduites soit basses soit hautes ; elles le sont soit en haies sur échalas, en treilles ou en palissades, sur espaliers, sur poteaux ou sur des arbres taillés en gobelet.

Les vignes basses sont les plus répandues, mais les vignes hautes sont de tradition méditerranéenne.

Des arbres seuls, plantés ad hoc, soit en quinconce, soit en lignes de jouelles ou de bordures, servent de support à de grands ceps qui s’appuient et les surmontent … Souvent chaque arbre – érable ou merisier – porte un cep isolé ; souvent aussi une division du cep se porte en feston d’un arbre à l’autre et les lignes forment de cette manière une série de tiges en boules comme des orangers, reliées entre elles par des guirlandes du plus gracieux effet….

Les vignes en hautain

La culture de la vigne en hautain, c’est-à-dire s’appuyant sur un arbre au lieu et place d’un échalas existe depuis toujours ; c’est la conduite des vignes sur des arbres tuteurs ; les raisins restent de qualité relative mais l’avantage est d’exploiter la terre sous la vigne pour d’autres cultures, par exemple les légumes ; cette méthode conserve quelques reliquats en Italie, au Portugal, en Haute-Savoie (Piémont).

Les vins des crosses à Evian : les vignes sont conduites sur les châtaigniers morts dépouillés de leur écorce.

Les hutins de la région de Chambéry : ce sont des ceps à hautes tiges, plantés au pied de certains arbres tels que le murier, le cerisier, l’orme, l’érable ; ici, la vigne ne se nourrit presque plus au dépend de la terre ; la même culture et les mêmes engrais leur profitent à l’un et à l’autre ; quelquefois même, le champ est protégé par les hutins en ce qu’ils arrêtent et brisent les courant d’air nuisibles ; le même terrain et les mêmes labeurs donnent ainsi deux récoltes ; si l’un manque, l’autre y supplée.

Les hutins sont ordinairement plantés d’une manière régulière, en longues allées, entre lesquelles on sème du blé, du maïs, des légumes et autres productions …

A mesure que les branches de la vigne croissent, on a soin de les plier et de les entrelacer en les dirigeant d’un arbre à l’autre de sorte que toute la ligne offre une continuité de berceaux ou de voûtes de verdure d’où l’on voit prendre de belles grappes de raisins.

Les hutins sont généralement très-productifs : on peut les appeler la vigne des laboureurs ; le vin qu'ils donnent est un peu vert, mais très-sain, et il désaltère mieux … que les vins forts … 

 

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CONCLUSION
Soyons observateurs de ces méthodes agricoles anciennes ; nous en avons encore quelques bribes dans la nature, en Italie, tout comme dans nos propres régions et puis dans les représentations d’autrefois, les peintures, les gravures ; quelques rangs de vignes au bout d’un champ de légumes ne résultent pas d’une fantaisie mais plutôt d’une pratique ancienne ; la vigne haute n’a pas seulement existé dans nos serres actuelles…

La coltura promiscua connait un nouvel essor sous l'appellation d'agroforesterie … L’idée est la même, comme toujours, de diversifier les productions et de faire un usage raisonnable des terres de culture …

                                                                                                                      Yves Duboys Fresney

 

Sources :

 -    Les terroirs viticoles de Savoie et Haute Savoie par le Docteur Jules Guyot éd Masson 1868

-          Le Grand Tour revisité par Gilles Bertrand, collection de l’école française de Rome, 2008

-          La France et l’Italie, histoire de deux nations sœurs par Gilles Bertrand, Jean-Yves Frétigné et Alessandro Giacone, éd Armand Colin 2016

Notes :



[1]  Agriculture vivrière : ici, l’ensemble des productions agricoles (plantes ou élevage) sont destinées à l'alimentation quotidienne de l'agriculteur et de sa famille, ainsi que de son bétail ; l’excédent est cédé ou troqué dans le voisinage ; le travail se réalise dans un cadre familial ; généralement la surface cultivée est petite et le matériel agricole réduit.

[2]   Plus tard, sous Louis XIV, les vignes au nord de la Loire sont interdites pour encore préserver la culture du blé et mieux lutter contre la famine …

[3]    et aussi au Portugal …