Un malaise dans la forêt française ?

 

 

La forêt française ne serait-elle pas soumise à une sorte d'inquiétude ou de gêne résultant de causes obscures … qui ne peuvent se localiser avec précision … sans maladie caractérisée …

 

Au-delà de ces définitions du mot « malaise », essayons tout de même d’approfondir la situation assurément « mal-à-l’aise » de la forêt française.

 

Les chiffres tendant à l’explication sont là et ils sont significatifs :

 

1.      La surface forestière est en tout de 36,76% du territoire national dont 8 millions d'hectares en Guyane Française et presque 30% en métropole soit 16 millions d’hectares en ce compris les bosquets, les trois quarts de l’ensemble étant de la forêt privée, les deux tiers étant des arbres feuillus ; la forêt a donc presque autant d'importance que les terres cultivables au niveau de la surface mais beaucoup moins au niveau du chiffre d'affaire réalisé ce qui constitue bien là notre problématique ; la récolte annuelle de bois est de l’ordre de 44 millions de M3 – plus ou moins 10 % - , la production biologique annuelle étant estimée à 85 millions de M3 – plus ou moins 15% - , et le volume total de bois sur pied de 2,4 milliards de M3 soit 183 M3 à l’hectare en moyenne ; le chiffre d’affaires de la filière forêt-bois est en France de 23,1 milliards d’euros dont 600 millions seulement pour l’exploitation forestière ; par contre, la valeur de la production agricole est de 67 milliards d’euros et celle de l’agro-alimentaire de 163 milliards d’euros.

La surface forestière est donc importante, la quatrième en Europe derrière la Suède, la Finlande et l’Espagne, mais la production est en fonction plutôt faible.

 

2.      La balance commerciale de la filière forêt-bois Souscrire à Actualités. Les données 2016 du commerce extérieur viennent d’être publiées par les Douanes. Par rapport à l’année 2015, le déficit commercial du secteur forêt-bois se détériore de près de 150 millions d’euros pour s’établir à -5,4 milliards d’euros sur l’ensemble de l’année 2016 – il était de 6,4 milliards en 2010 - . Ceci est dû à une stagnation des exportations (+0,2 %) alors que les importations ont continué d’augmenter à un rythme plus soutenu (+1,1 %). Dans le détail, le déficit s’accroît pour les produits du travail du bois (+8,4 %) et les meubles et sièges en bois (+5,6 %) alors qu’il diminue pour pâte, papiers-cartons (-4,5 %). L’ameublement représente un tiers du déficit, environ deux milliards d’euros, en provenance essentiellement de Chine, les papiers et cartons un autre tiers ; les français consomment environ 150 kgs de papiers et cartons par an et par habitant.

Pour ne parler que de l’exploitation forestière, la France serait en relatif équilibre sur l’exploitation du feuillus mais est importatrice sur le résineux à raison de 600 millions d’euros environ par an.

Au final, l’analyse de la forêt est souvent faite au travers de la filière complète, ce qui peut paraître correct mais incorrect à la fois, une seconde analyse de pure exploitation forestière parait tout aussi nécessaire.

 

  1. Le prix du bois n’est pas à la hauteur de ce que devrait être le rapport d’une campagne de récolte qui dure entre 50 et 100 ans ! …

Le bois exotique a depuis longtemps tiré les prix à la baisse, et cela sans avoir à respecter les règles du renouvellement durable de la forêt.

A titre d’exemple, le prix moyen en monnaie constante des grumes de chêne a régulièrement baissé entre 1981 et 1995 ; il a stagné entre 1996 et 2004 ; puis deux remontées en 2005 et 2007 ; en 2007, les prix reviennent en monnaie courante à ceux de 25 ans auparavant mais avec une dévaluation de valeur d’au moins 30% ; enfin depuis 2012, la hausse est régulière … mais s’agit-il d’une hausse acquise et d’un vrai rattrapage ?

 

  1. Un dilemme existe concernant le marché du chêne : le chêne français est de qualité, très recherché pour également des travaux de qualité – le merrain -  ; il s’exporte notamment en Chine, mais ceci au détriment de notre filière nationale du bois ; il sert à l’équilibre de notre balance commerciale face aux importations de résineux, mais il dessert la même balance au niveau des produits manufacturés quand ceux-ci reviennent de Chine à l’importation en France.

Les scieries françaises, en grande restructuration, ont du mal à voir le bois français partir à l’export, sans même qu’il leur soit proposé …

 

  1. L’ONF fait valoir qu’il ne représente que ¼ des forêts françaises alors qu’il réalise les 2/3 des ventes de bois d’œuvre ; voilà un autre motif de malaise, de créer une opposition entre le secteur public et le secteur privé de la forêt ; les situations en fait ne sont pas comparables ; si elles l’étaient, les ventes en France seraient multipliées par 2,67 !!

Voir le tableau comparatif ci-après :

 

Distinction

Public et privé

Forêts domaniales

Forêts privées

Propriétaires

Etat

Et collectivités locales

Personnes privées

Et Sociétés

Gérants

Office National des Forêts ou ONF

Personnes privées ou professionnels

Experts ou coopératives

Capital

Pas d’emprunt

Endettement de l’ONF de 500 millions d’euros

Usage des fonds propres

Possibilités ponctuelles d’emprunts bancaires sur achats ou travaux

Surfaces gérées

25% du territoire

75% du territoire

Consistance

Surtout des futaies

Surtout du taillis

Morcellement des parcelles

Qualité

Supérieure

Ambiance forestière ancienne

Variable selon l’antériorité et la localisation

Budget ou CA

850 millions d’euros

Soit les 2/3 du bois d’œuvre

xx

Résultats

Négatif 75 millions d’euros

Couvert par l’Etat

xx

Fiscalité

Néant – Bien de l’Etat

Tous les impôts

mais avec des allègements fiscaux

en cas d’engagement de gestion

Label

Forêts d’exception

Néant

 

 

 

 

 

  1. La forêt privée fait donc le reste, 1/3 du bois d’œuvre, beaucoup de bois de chauffe issus des taillis et de plus en plus de bois-énergie : la taille moyenne en surface de la propriété forestière privée française est de 2,9 ha. Les propriétaires qui possèdent moins de 4 ha, représentent 25 % de la surface forestière ; il y a 2,6 millions d’unités forestières inférieures à 1 hectare. La forêt privée est donc handicapée par son morcellement. Les CRPF sont chargés de lutter contre celui-ci, les coopératives forestières reçoivent des aides pour travailler sur les petites parcelles ; que fait-on en réalité à ce sujet ?  …

 

 

  1. La forêt privée est également handicapée par d’autres éléments : par les frais inhérents aux mutations – à titre onéreux : 6% - à titre gratuit assez régulièrement 20% sur un quart de la valeur soit au final 5% - La création récente de quatre droits de préemption est d’application assez complexe et ne donnera des résultats que dans quelques dizaines d’années ; les Safer par principe et sauf exceptions n’interviennent pas dans les transactions forestières - voir l’article L. 143-4-6°) du code rural ; les bourses d’échange des petites parcelles forestières sont des initiatives encore isolées en Ardèche et dans le Limousin ; les gestions collectives dans les plans de développement des massifs ou dans des groupements d’intérêt économique et environnemental forestier ou GIEEF créés par la loi d’avenir du 13 octobre 2014 et le décret du 4 juin 2016 restent également rares, un seul à notre connaissance dans les Cévennes Ardèchoise.

 

 

  1. Les rapports sur la situation de la forêt française ou sur l’ensemble de la filière ont été nombreux :

·         rapport de B. de Jouvenel de 1978,

·         rapport de R. Duroure de 1982,

·         rapport de Jean Louis Bianco du 25 août 1998,

·         rapport de J.C. Monin de 2003

·         rapport de Dominique Juillot de juin 2003 sur la filière bois française,

·         rapport de M Jean Puech du 6 avril 2009

·         rapport de Jean Yves Caullet, député de l’Yonne et directeur de l’ONF, de juin 2013.

·         Le dernier en date est le rapport de Christian Franqueville député des Vosges de juillet 2015

Le rapport administratif est l’une des spécialités françaises ; concernant la forêt, nous avons le sentiment d’être réellement meilleurs sur le papier que sur le terrain …

 

 

Les économistes devraient à nouveau se pencher sur tous ces rapports, sur toutes ces questions pour tenter de raisonner au global alors que les problèmes ne sont évoqués et dénoncés que individuellement, subjectivement, pour tenter d’améliorer un point sans pour cela pénaliser le maillon amont ou aval, pour tenter de concilier la mondialisation et le protectionnisme ; et ainsi tendre, si faire se peut, vers une amélioration générale du marché.

Les juristes également devraient pouvoir faire des propositions incitatives à une telle amélioration …

Pour que la forêt française se porte assurément mieux à l’avenir …

 

 

                                                                                                                    Octobre 2017 - YDF