Propriétaires privés, faut-il placarder, faut-il clôturer ?

 

Un affichage et/ou une clôture établis sur des lieux privés auraient-ils un rôle à jouer dans la défense des droits des propriétaires, au-delà du simple obstacle à l’intrusion, un rôle juridique concernant leur droit ou bien leur responsabilité ?

 

https://4.bp.blogspot.com/-_Ofk3TItAUA/Tf2pIfvz4PI/AAAAAAAAHLU/F2dL_N2ENfM/s1600/IMGP2077.JPG

 

Le code civil protège par principe l’intégrité de la propriété privée – article 544 du CC :

« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »

 

Plus loin dans ce code, au niveau de la responsabilité civile, l’article 1242 prévoit – ancien article 1384 alinéa 1er avant l’ordonnance numéro 2016-131 du 10 février 2016 - :

 « On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde. »

Il est de jurisprudence constante que le gardien d’un bien est celui qui en a l'usage, le contrôle et la direction au moment du fait dommageable et que le propriétaire en est présumé le gardien. Le gardien peut alors s'exonérer totalement de sa responsabilité en prouvant un cas de force majeure, ou partiellement si la victime a commis une faute ayant contribué à la réalisation de son dommage (voir RM n° 06793,  JO Sénat du 20 juin 2013, p. 1879 concernant une propriété en libre accès).

Un propriétaire est donc présumé responsable du dommage causé à quiconque sur sa propriété , sauf dans les quelques hypothèses suivantes :

-            Délégation de la garde auprès d’une autre personne, d’un locataire par exemple, mais attention aux termes de la convention de garde ou de location.

-            Cas fortuit ou de force majeure, dont l’appréciation est restrictive : il faut un caractère imprévisible et irrésistible, un véritable cyclone …

-            Cause étrangère ou extérieure qui ne lui est pas imputable

-            Egalement faute de la victime.

Ces différentes exceptions ne concluent souvent qu’en une exemption partielle de responsabilité. Mais un affichage ou une clôture permettent-ils d’obtenir une décharge complémentaire de responsabilité : rien de sûr pour cela …

 

Le droit de se clôturer résulte de l’article 647 du code civil ; ce droit est facultatif : « tout propriétaire peut clore son héritage », sauf le cas de clôture forcée de l’article 663 du CC ; à l’inverse, une clôture ne peut jamais aller à l’encontre des droits de pâturage saisonnier, de panage, de transhumance, ou encore de l’exercice d’une servitude (article 682 du CC) …

 

Il a été jugé, s’agissant d’un terrain privé, non destiné à un usage public, qu’aucun texte réglementaire n’imposait l’installation d’une cloture, et ce même si ce terrain présentait un danger ; qu’ainsi le propriétaire de la parcelle n’avait aucune obligation de clore son terrain, ni même de signaler la présence d’un danger (Cour de Cassation 2ème chambre civile du 8 juin 2017, pourvoi n°16-14155 sur un arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry du 3 mars 2016).

 

Le code pénal sanctionne l’intrusion dans une propriété dès lors qu’il y a eu dommage.

 

L’effraction ou le franchissement d’une clôture ne constitue qu’une circonstance aggravante lors de la constitution d’une infraction pénale – articles 132-73 et 132-74 du CP :

« L'effraction consiste dans le forcement, la dégradation ou la destruction de tout dispositif de fermeture ou de toute espèce de clôture. Est assimilé à l'effraction l'usage de fausses clefs, de clefs indûment obtenues ou de tout instrument pouvant être frauduleusement employé pour actionner un dispositif de fermeture sans le forcer ni le dégrader. »

« L'escalade est le fait de s'introduire dans un lieu quelconque, soit par-dessus un élément de clôture, soit par toute ouverture non destinée à servir d'entrée. »

Au moyen d’un raisonnement a contrario – ce qui n’est pas interdit est autorisé ! - , il est admis par certains que passer dans une propriété sans rien ramasser (cueillir) ni casser est usuellement toléré.

 

La violation de domicile est un délit régi par les articles 226-4 et 432-8 du CP :

« L'introduction dans le domicile d'autrui à l'aide de manoeuvres, menaces, voies de fait ou contrainte, hors les cas où la loi le permet, est puni d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende. Le maintien dans le domicile d'autrui à la suite de l'introduction mentionnée au premier alinéa, hors les cas où la loi le permet, est puni des mêmes peines. »

Ici, les jardins, annexes sont protégés au même titre que l’habitation, mais la moindre introduction dans les lieux est-elle répréhensible en soi ? Il semble que non ….

 

Il faut aussi reconnaître que la constatation d’une intrusion, la prise de décision d’une sanction sont difficiles à mettre en œuvre. Comment prendre quelqu’un sur le fait accompli ? Comment établir la preuve de son fait ?

 

Le code forestier  relève aux articles L 163-7 à11 et R 163-4 à 9  les infractions commises en forêt d’autrui, notamment une interdiction de principe sans l’accord du propriétaire de cueillette, ramassage, prélèvements de tous produits - voir le décret numéro 2006-871 du 12 juillet 2006 ainsi que le tableau ci-après - .

 

Tableau des infractions commises en forêt d’autrui

 

Code Forestier

Faits répréhensibles

Infractions

Peines

Article

L 163-7

Coupe ou enlèvement d’arbres ayant au moins 20cm de circonférence

Enlèvement de chablis, de bois coupés illégalement

Délit

Peines des articles 311-3, 311-4, 311-13, 311-14, 311-16 du code pénal (*)

L 163-8

Ehouper, écorcer, mutiler des arbres, en couper les branches principales, enlever l’écorce de liège

Délit

Idem

Comme l’abattage sur pied

L 163-9

Animaux trouvée en délit dans les semis ou plantations réalisés depuis moins de 10 ans

Délit

Amende de 3750 €

L 163-10

Extraction ou enlèvement d’un volume supérieur à 2 m3 de pierres, sable, minerai, terre, gazon, mousses, tourbe, bruyère, genêts, herbes, feuilles vertes ou mortes, engrais

Sans autorisation du propriétaire du terrain

Délit

Peines des articles 311-3, 311-4, 311-13, 311-14, 311-16 du code pénal (*)

L 163-11

Prélever des truffes, quelle qu’en soit la quantité ; des champignons, fruits ou semences d’un volume supérieur à 10 litres.

Sans l’autorisation du propriétaire

Délit

Peines des articles 311-3, 311-4, 311-13, 311-14, 311-16 du code pénal (*)

R 163-4

Extraction ou enlèvement d’un volume inférieur à 2 m3 de pierres, sable, minerai, terre, gazon, mousses, tourbe, bruyère, genêts, herbes, feuilles vertes ou mortes, engrais

Sans l’autorisation du propriétaire

Contravention

Amende pour contravention de 4ème classe

R 163-5

Prélever des champignons, fruits ou semences d’un volume inférieur à 10 litres.

Sans l’autorisation du propriétaire (**)

Contravention

Amende pour contravention de 4ème classe

R 163-6

Conducteur ou détenteur de véhicules, bestiaux, animaux de charge ou de monture trouvés sur des routes et chemins interdits à leur circulation

Conducteur ou détenteur de véhicules, bestiaux, animaux de charge ou de monture trouvés hors des routes et chemins

Contravention

Amende pour contravention de 4ème classe

 

Amende pour contravention de 5ème classe, plus confiscation des animaux et suspension de permis de conduire

R 163-7

Arracher des plants

Contravention

Amende pour contravention de la 5ème  classe et peine complémentaire de confiscation

R 163-8

Autres animaux que L 163-9

Contravention

Amende pour contravention de 5ème classe, plus confiscation des animaux

R 163-9

Briser, dégrader, détruire ou faire disparaître des bornes, repères, signes et clôtures quelconques servant à limiter les parcelles forestières

Contravention

Amende pour contravention de 4ème classe

(*) Application des peines prévues par le Code Pénal en cas de vol : vol simple : 45 000€ et 3 ans d’emprisonnement ; vol aggravé par une circonstance : 75 000€ et 5ans ; par deux circonstances : 100 000€ et 7 ans et peines complémentaires.

(**) Dans les forêts relevant du régime forestier, l’autorisation est présumée lorsque le volume prélevé est inférieur à 5 litres.

 

Un ancien article L 331-6 du CF prévoyait, en cas de prélèvement de bois, une obligation de restituer, non reprise dans le nouvel article L 163-7 ci-dessus …

 

Concernant les règles de voiries, deux dispositions s’appliquent :

 

Article R 163-6 du Code Forestier :

« Est puni de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 4e classe tout conducteur, ou à défaut tout détenteur, de véhicules, bestiaux, animaux de charge ou de monture trouvés dans les bois et forêts, sur des routes et chemins interdits à la circulation de ces véhicules et animaux.

« Est puni de la peine d'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe tout conducteur, ou à défaut tout détenteur, de véhicules, bestiaux, animaux de charge ou de monture trouvés dans les bois et forêts, hors des routes et chemins. »

 

Article L 362-1 du Code de l’Environnement :

« En vue d'assurer la protection des espaces naturels, la circulation des véhicules à moteur est interdite en dehors des voies classées dans le domaine public routier de l'Etat, des départements et des communes, des chemins ruraux et des voies privées ouvertes à la circulation publique des véhicules à moteur.

« Les chartes de parc national et les chartes de parc naturel régional définissent des orientations ou prévoient des mesures relatives à la circulation des véhicules à moteur … »

 

Selon la Cour de Cassation – Cour Cassation chambre criminelle du 24 avril 2007 n°06-87 874 sur arrêt de la Cour d’Appel de Chambéry du 14 septembre 2006 – « l’interdiction édictée par l’article L 362-1 du CE s’applique en tous lieux, hors des voies publiques, des chemins ruraux et des chemins privés ouverts à la circulation publique des véhicules à moteur, et n’est subordonnée ni à l’intervention de dispositions réglementaires, ni à l’implantation sur les lieux d’une réglementation. »

Dès 2003, la même juridiction – Cour Cassation chambre criminelle du 18 février 2003 – concluait que « ni l’article R 331-3 du CF, ni l’article L 362-1 du CE n’exigent que l’interdiction de circuler sur les voies non ouvertes à la circulation publique soit matérialisée. »

 

Le propriétaire n’est là encore ni tenu de se clore, ni tenu de signaler la fermeture de son chemin ou l’interdiction de pénétrer chez lui, pour avoir droit au respect de sa propriété privée.

Cependant, dès lors que la voie d’accès présente un aspect carrossable pouvant laisser présumer de son ouverture à tous, le propriétaire aura intérêt à matérialiser une signalisation non équivoque d’interdiction de circuler et/ou un dispositif de fermeture.

 

Autre point, celui du droit des assurances : le placardage et le clôturage correspondent à une sorte d’autoprotection, appelée aussi mesure de sécurité active, qui pourrait avoir une incidence sur les contrats d’assurances, aussi bien sur les garanties offertes que sur les primes versées.

Nous sommes ici en matière contractuelle, donc relisons nos contrats et allons voir nos assureurs …

 

Enfin, les affiches et les clôtures sont réglementées et peuvent faire l’objet d’autorisation préalable. Attention également , certains affichages apposés sur des arbres sont interdits …

 

http://www.larep.fr/photoSRC/Gw--/probleme-clotures-en-sologne_3507890.jpeg

 

Au final, le code civil est protecteur d’un droit de propriété absolu et inviolable, mais les autres codes – pénal – forestier – environnement – ne rendent pas répréhensibles le simple fait de circuler chez autrui.

La pose d’un panneau ou d’une clôture, au-delà du caractère dissuasif, ne pourrait servir qu’à aggraver une sanction quand elle existe, ou à rechercher la qualification de mauvaise foi d’une victime plaignante, rien de plus …

 

                                                                                                           Yves Duboys Fresney

Source : Legifrance

NB : D’une façon générale, le code civil protège la propriété, alors que le code forestier protège la flore et puis le code de l’environnement protège la faune. Mais, y a –t-il une vraie complémentarité entre les codes ? L’ensemble ne laisse-t-il pas entrevoir aussi bien des contradictions ? Ou bien y aurait-il une hiérarchie entre eux ? L’un d’entre eux, par exemple le code civil, prévaut-il sur les autres ? Ou au contraire, les codes spécifiques ont-ils priorité sur un code généraliste ? Enfin véritablement, que vaut une règle de droit sans sanction ?