Les notaires au service de la conquête du nouveau monde

- Présentation de textes d’auteurs -

 

Dans les pays de droit écrit, le notaire a les fonctions très importantes de consigner les évènements ou les actes majeurs de la vie de la Société, tant sur le plan individuel - vie civile - que sur le plan collectif - vie publique -.

Quoi de plus normal que de prévoir un notaire pour partir de son pays et participer aux grandes découvertes, et cela même s'il s'agit d'aller vers l'inconnu ; le notaire consignera par écrit et authentifiera en les décrivant tous les faits de découverte, les déclarations ou serments des découvreurs ou bien même des personnes rencontrées, les indiens, ceci afin que nul n’ignore, afin que nul ne se dédise, et puis qu'au retour de l'expédition, le Roi et la société toute entière puisse croire sans réticence et sans détour aux évènements rencontrés.

L'Europe du sud, l'Espagne, le Portugal appliquèrent naturellement cette fonction particulière du notaire qui donc faisait partie du personnel naviguant, enrôlé lors de chacune des expéditions; on parlait tantôt de notaire et tantôt de scribe. En France, on parlait plus dans les expéditions lointaines d'écrivains lesquels se chargeaient à la base de la rédaction du livre de bord mais devaient aussi noter tous les évènements rencontrés ou subis par les navires au cours de leur trajet, y compris et surtout les phénomènes de découverte; à leur retour, ils avaient à rendre aux services de la Marine un rapport écrit de l'ensemble de leurs observations ou travaux.

Nous terminerons la présentation de ces textes d’auteurs relatifs donc au rôle des notaires dans les découvertes, par l'installation de ces officiers publics aux premières heures de la Nouvelle France, le Canada Français, leur présence et leur organisation étant l'une des fonctions essentielles de la formation du nouvel Etat ; pour preuve, celle-ci sera maintenue et se poursuivra même lorsque la Canada deviendra anglais puis par la suite indépendant…

 

I - La découverte de l’Amérique par Christophe Colomb -

A partir de certains extraits ou interprétations du journal de bord de Christophe Colomb

 

L'invention de l'Amérique - Jeudi 11 octobre 1492 - 1er voyage -

"A la deuxième heure après minuit, la terre apparut, dont ils pouvaient être à deux lieues. Ils amenèrent toutes les voiles et ne gardèrent que le tréou qui est la grand-voile, sans les bonnettes, et ils mirent à la cape, ne bougeant plus jusqu'à ce que se levât ce jour du vendredi où ils arrivèrent à une petite île des Lucayes qui s'appelait, en la langue des Indiens, Guanahani. Dès l'abord ils virent des gens nus, et l'Amiral descendit à terre avec la barque armée, accompagné de Martín Alonso Pinzón et Vicente Yánez, son frère, qui était capitaine de la Niña. L'Amiral déploya la bannière royale et ses capitaines les deux bannières à croix verte que l'Amiral avait mises sur chaque navire comme sa marque et qui portaient un F et un I, chaque lettre étant surmontée de sa couronne respective et placée l'une d'un côté de la + et l'autre de l'autre. Ayant mis pied à terre, ils virent des arbres très verts et beaucoup d'eaux courantes et des fruits de diverses sortes. L'Amiral appela à lui les deux capitaines et tous ceux qui avaient débarqué, ainsi que Rodrigo de Escobedo [1] , notaire de l'ensemble de l'expédition et Rodrigo Sánchez de Ségovie, et leur demanda de lui rendre foi et témoignage de ce qu'au vu de tous, il prenait, comme effectivement le fit, possession de ladite île au nom du Roi et de la Reine, ses Souverains, faisant toutes les déclarations préventives requises comme cela apparaît dans les témoignages qui se firent là par écrit."

 Le Serment sur Cuba - juin 1494 - 2ème voyage

« En ce chemin, il reconnut maintes fois et déclara que c’était là la terre ferme en raison de sa configuration et de par l’information qu’il en avait, enfin, de par le nom des habitants de ces provinces et spécialement de la province de Mango [2] (…) Aussi, afin qu’une fois le voyage terminé personne n’ait sujet de le contester par malice ou par médisance, de diminuer les choses qui méritent maints louanges, ledit seigneur amiral m’a requis, moi, notaire, de me rendre personnellement, avec de bons témoins, à bord de chacune desdites trois caravelles, et de requérir le maître et sa compagnie (…) de manifester s’ils avaient le moindre doute que cette terre ne fût la terre ferme du commencement des Indes, et la fin pour ceux qui voudraient en ces régions venir d’Espagne par terre. »

II – La découverte de l’océan Pacifique par Nunez de Balboa le 25 septembre 1513, le premier qui du haut des montagnes de Panama, aura dans un même champ visuel les deux océans à la fois.

A partir du texte de Stephan Zweig dans « les très riches heures de l’humanité » intitulé « La fuite dans l’Immortalité » Edition de poche, page 65 et 66.

 

« Après être ainsi resté longtemps en extase sans pouvoir se rassasier du spectacle impressionnant dont il jouit, il crie à ses camarades de venir le rejoindre pour partager son bonheur. Enervés, criant et soufflant, ils accourent pour s’arrêter brusquement, le regard émerveillé et ravi, au sommet de la montagne. Soudain, le père Andreas de Vara entonne le TE DEUM LAUDAMUS et aussitôt les cris d’enthousiasme cessent : les voix rauques de ces soldats, aventuriers et bandits s’unissent en un chœur pieux. Les indiens étonnés les voient, sur un signe du prêtre, abattre un arbre pour en faire un croix, dans le bois de laquelle ils gravent les initiales du roi d’Espagne. Et lorsque cette croix s’élève on dirait que ses deux bras veulent saisir les deux mers, avec leurs lointains invisibles.

Au milieu du silence respectueux qui s’est établi Nunez de Balboa s’avance et harangue ses soldats. Ils ont raison, déclare-t-il de remercier Dieu qui leur accorde pareil honneur et pareille grâce, de le prier de les aider à conquérir cette mer et tous ces pays. S’ils veulent continuer à le suivre fidèlement comme ils l’ont fait jusqu’ici ils rentreront en Espagne couverts de richesses. Solennellement il incline le drapeau dans toutes les directions, symbolisant ainsi la prise de possession par l’Espagne de toutes les terres situées aux quatre points cardinaux. Puis il appelle le scribe, Andrès de Valderrabano, afin qu’il rédige un document qui restera pour l’éternité le témoin de cet acte solennel. Le scribe déroule un parchemin qu’il a emporté avec lui à travers la forêt vierge dans une cassette contenant également un encrier et des plumes et prie tous les gentilshommes, cavaliers et soldats qui ont été présents à la découverte de la mer du Sud par le haut seigneur et capitaine Vasco Nunez de Balboa, gouverneur de Sa Majesté, de confirmer que « c’est ce seigneur qui a vu le premier cette mer et l’a montrée aux autres ».

Puis les soixante-sept hommes entreprennent la descente de la montagne. L’humanité vient en ce 25 septembre 1513 d’ajouter à ses connaissances celle d’un nouvel océan… »

 

III - Le retour de la Caravelle, le retour du notaire…

A partir du texte de Eric Orsenna dans « L'Entreprise des Indes " Edition Fayard pages 42-43-44:

"Une caravelle avance lentement, poussée par la marée montante. Ses voiles ne sont que des lambeaux rapiécés, ses mâts ne semblent tenir debout que par miracle. Quelle guerre a-t-elle menée, contre quels ennemis ? Plusieurs de ses bordés sont enfoncés, son château arrière n'est plus qu'une ruine.

Une chaloupe s'approche, battant pavillon du Roi.

Une silhouette noire descend de la caravelle dans la chaloupe.

Cette silhouette noire est celle du notaire.

Depuis Henri Le Navigateur, chaque caravelle embarque un notaire. Il a pour mission de tenir chronique scrupuleuse du moindre des évènements survenus tout au long de l'exploration. C'est lui qui décrit par le menu les Découvertes. C'est lui qui garde dans une bourse l'or rapporté d'Afrique.

Et maintenant la ville entière, amassée sur le quai, regarde la chaloupe et ses huit rameurs glisser sur le fleuve. Le notaire se tient debout. Jamais les autres notaires, les notaires terrestres, ceux qui ne prennent jamais la mer, ne connaitront semblable gloire. Chacun sait que le Roi l'attend .

Une fois la silhouette noire débarquée, les yeux se tournent vers la caravelle. Maintenant qu'elle sait assez rapprochée, on peut distinguer l'équipage. Il semble fait de vieillards, la peau devenue cuir à force de soleil, les cheveux blancs de sel ou de peur. Sans doute qu'à l'autre bout du monde, le temps passe plus vite. On lance les amarres. la caravelle s'immobilise enfin. Les marins scrutent: laquelle est ma femme parmi toutes celles du quai ? Et les femmes scrutent les marins: lequel est le mien ? Comment voulez-vous qu'ils se reconnaissent quand l'absence qui s'achève a duré parfois six ans ? ... »

IV –  La découverte de l’Amérique du Nord, des Grands Lacs au golfe du Mexique, par René-Robert Cavelier de la Salle (né à Rouen le 22 novembre 1643-mort le 19 mars 1687 dans le sud de la colonie française de Louisiane, dans l’État américain actuel du Texas).

"De par le très haut, très puissant, très invincible et victorieux prince Louis le Grand, par la grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre, quatorzième de ce nom, ce aujourd'hui, 9 avril 1682, je, en vertu de la commission de Sa Majesté, ai pris et prends possession, au nom de Sa Majesté et de ses successeurs de sa couronne, de ce pays de la Louisiane, mers, havres, ports, baies, détroits adjacents et toutes les nations, peuples, provinces, villes, bourgs, villages, mines, pêches, fleuves, rivières compris dans l'étendue de ladite Louisiane, depuis l'embouchure du grand fleuve Saint-Louis du côté de l'est, appelé autrement Ohio, et ce du consentement des peuples qui y demeurent avec qui nous avons fait alliance, comme aussi le long du fleuve Colbert ou Mississippi et rivières qui s' y déchargent depuis sa naissance au-delà du pais des Sioux et ce de leur consentement, et des Illinois, Arkansas, Natchez qui sont les plus considérables nations qui Y demeurent, avec qui nous avons fait alliance, jusqu'à son embouchure dans la mer ou golfe du Mexique, sur l'assurance que nous avons eue de toutes ces nations que nous sommes les premiers Européens qui ayons descendu ou remonté ledit fleuve Colbert... "

C'est en ces termes, scrupuleusement enregistrés par le notaire Jacques de La Métairie, que Robert Cavelier de La Salle prend possession pour le roi de France des immenses territoires correspondant au bassin du Mississippi. Venus des rives du Saint-Laurent, l'explorateur français et ses compagnons sont parvenus trois jours plus tôt à l'embouchure du Mississippi sur la côte du golfe du Mexique. Après avoir réuni tous les hommes de l'expédition, le conquérant normand a fait abattre un arbre pour ériger un poteau commémoratif sur lequel ont été fixées les armes du roi, découpées dans le cuivre d'une marmite. Un sentiment d'orgueil le saisit à la pensée qu'il vient de fonder le plus grand empire jamais conquis par un Français…

V - Les notaires dans les débuts du Canada Français :

A partir du texte de André Vachon dans " l'Histoire du notariat au Canada de 1621 à 1960 » - Les Presses de l'Université Laval Québec 1962 – Les débuts - pages 9 à 14 -

« Le 3 juillet 1608, Champlain fondait le poste de Québec. L’histoire continue de la Nouvelle-France commençait. A cette date, il y avait déjà plus de trois cents ans que Philippe Le Bel avait donné sa forme quasi-définitive au notariat français. Pourtant, la profession mit du temps à s’établir dans la colonie. Elle dut refaire dans le Nouveau-Monde la même expérience qu’en France, passant successivement par les mêmes étapes qu’elle avait jadis franchies dans le vieux royaume franc.

Pendant longtemps le poste de Québec ne fut fréquenté que par des trafiquants et des marins. Depuis 1612, Champlain détenait dans la colonie, tous les pouvoirs législatifs, exécutifs et judiciaires. C’est lui qui concéda, verbalement, des terres aux Jésuites et à Louis Hébert. Ces concessions furent plus tard confirmées par le vice-roi, et les titres en furent expédiés. Les rares conventions entre particuliers étaient purement verbales et abandonnées à la bonne foi des contractants.

Champlain avait agi, jusqu’ici, en qualité de représentant de la compagnie qui exploitait le poste de Québec et, plus récemment, de lieutenant du vice-roi. Mais voici qu’en 1620 le roi lui ordonne de rendre la justice à tous ses sujets dans la colonie. Aussi, dès 1621, Champlain désigne-t-il les premiers officiers de justice du pays : Louis Hébert devient procureur du roi, Gilbert Courseron, lieutenant de prévôt, et Nicolas, greffier de la juridiction de Québec. Le nombre des colons et des commis de la traite résidant à Québec n’atteignait pas encore la centaine.

Nicolas fut le premier à signer des actes en Nouvelle-France. Il fixait par écrit les conventions des particuliers, comme le firent tous ses successeurs au greffe. Ces greffiers se qualifièrent bientôt de « commis au greffe et tabellionnage », puis de « tabellions » et enfin de « notaires du Roy nostre Sire ». Malgré ces titres pompeux que, par tolérance, on ne contesta point, les greffiers ne réussirent pas à éliminer leurs concurrents es-sciences notariales. Plusieurs colons et tous les secrétaires des gouverneurs s’arrogeaient en effet le droit de rédiger des contrats de mariage et autres conventions. Robert Giffard, qui était seigneur de Beauport, dressait lui-même les actes de concession dans sa seigneurerie.

En somme, pendant vingt-cinq ans, de 1621 à 1648 environ, on trouva toujours quelqu’un – greffier, secrétaire du gouvernement, seigneur ou colon – pour rédiger des actes en Nouvelle-France. Mais d’authentiques notaires, on en voit point.

En 1627, pourtant, un évènement important s’était produit. Grâce aux efforts de Champlain et à la collaboration de Richelieu, une grande compagnie de commerce avait été créée, dans la but de coloniser la Nouvelle-France. A cette compagnie dite des Cent-Associés, le roi avait donné l’Amérique du Nord en toute propriété, justice et seigneurerie ; il lui avait en outre accordé le monopole de la traite des fourrures à perpétuité et, pour quinze ans, le monopole de tous les autres articles de commerce. En retour, la compagnie s’engageait à faire passer en Nouvelle-France dans les quinze années à venir, quatre mille colons et à assumer les frais d’administration et de la défense de la colonie. La charte de création de la compagnie lui donnait en outre le pouvoir de nommer des notaires en Nouvelle-France. Mais il ne semble pas que les Cent-Associés aient usé de ce privilège.

Par une cruelle ironie du sort, ce fut Champlain, le fondateur de la colonie qui eut le plus à souffrir de cette absence de notaires. A la fin de l’année 1635, se sachant mortellement atteint, il voulut dicter ses dernières volontés. Il ne pouvait pas s’adresser au greffier, qui n’exerçait les fonctions de notaire que par tolérance ; de plus, les Jésuites n’avaient pas le titre de curés et partant ne pouvaient pas recevoir son testament. Il ne restait qu’une issue : le testament olographe. Mais frappé de paralysie, Champlain était à peine capable de signer son nom. On crut bien faire de suivre l’usage des pays de droit romain et de convoquer en plus du greffier sept témoins mâles et pubères. Le Parlement de Paris jugea néanmoins ce testament de nulle valeur…. »

En vérité, « Notre Monde vient d’en trouver un autre » écrivait Montaigne, cette période charnière se devait d’être accompagnée par des écrivains, des juristes, des notaires pour témoigner, attester, authentifier et puis laisser les preuves et les traces nécessaires à l’histoire de cette grande époque… afin que nul n’ignore.

 

                                                                                              Yves Duboys Fresney

                                                                                              Notaire à Fécamp

PS : autres pistes de recherches :

-                      La lettre de découverte du Brésil adressée le 1er mai 1 500 par Pero Vaz de Caminha écrivain au roi Manuel du Portugal.

-                      Le rôle tenu par Charles Guillot, secrétaire de Jacques Cartier, dans la découverte du Canada.

 

A paraitre dans la revue internationale d’histoire du notariat « le Gnomon »

 



[1]  ou Escovedo

 

[2] Pour Marco Polo, Mangi est une des provinces de la Chine maritime.