Les trêves pècheresses

 

La trêve pècheresse, c’est la faculté qu'une puissance souveraine accorde aux pêcheurs de quelque autre nation, de pêcher en toute liberté dans les mers de sa domination, nonobstant la guerre qui subsiste entre les deux nations concernées.

Ces trêves venaient en complément des traités conclus entre les pays ; anciennement d’une pratique assez courante, elles étaient à rattacher d’une façon plus générale aux trêves marchandes, durant lesquelles le commerce était permis entre deux Etats qui étaient en guerre , avec l’idée de pouvoir toujours appliquer la liberté absolue du commerce pacifique ainsi que les grands principes des « droit des gens ».

Cette immunité se rattache à un vieil usage; elle est entière, s’étend à la personne des pêcheurs, à leurs barques, à leurs filets et aux poissons pêchés ; l’usage était assez fixe et assez général pour au-delà des traités être érigé en une règle positive et formelle de droit international

Pour profiter de cette exemption, les pêcheurs bien sûr devaient s’abstenir de toute participation aux hostilités, ni embarquer de passagers, ni transporter de marchandises ; ils devaient obtenir un sauf conduit qui leur permettait de naviguer ainsi librement.

Certains pensent que l’on ne doit pas étendre l’exemption à la grande pêche car ici nous ne trouvons plus les raisons de l’humanité qui justifie l’immunité de la pêche côtière ; ce point concerne naturellement la pêche à la morue à Terre-Neuve, ainsi que la pêche à la baleine

« Les puissances voisines qui ont pour limites des mers qui leur sont communes, ayant un égal intérêt de favoriser la pêche de leurs sujets respectifs en quelque temps que ce soit, rien ne serait plus naturel que de convenir entre elles de cette liberté de la pêche, au moins pour le poisson qui se mange frais, laquelle ne peut être faite que jour par jour. On devrait déroger en cette partie au droit de la guerre, suivant lequel les pêcheurs sont de bonne prise comme les autres navigateurs. »

En France, l'amiral était autorisé à conclure ces trêves: c'était l’une des prérogatives de sa charge; il en est fait mention dans les ordonnances de 1543 et de 1584 : « L'amiral avait le droit d'accorder en tems de guerre de telles trêves pour la pêche du hareng et autres poissons aux ennemis et à leurs sujets, pourvu que les ennemis la voulussent accorder de même aux sujets du roi; et si la trêve ne se pouvait accorder de part et d'autre, l'amiral pouvait donner aux sujets des ennemis des saufs - conduits pour la pêche, sous telles et semblables cautions, charges et précis que les ennemis les accordaient aux sujets du roi. L'amiral pouvait en tems de guerre armer des navires pour conduire en sûreté les sujets du roi et autres marchands alliés et amis de la France. »

            Cet ordre a subsisté jusqu'en 1669 ; depuis, il n'a plus été fait aucun traité, soit pour la liberté de la pêche ou autre cause, qu'au nom du roi; de même aussi les escortes pour la liberté de la pêche n'ont été données que par ordre du roi. Le droit dont jouissait l'amiral par rapport à ces deux objets n'ayant point été rappelé lors du rétablissement de cette charge, et ayant même été révoqué implicitement, tant par le dernier article du règlement du 12 Novembre 1669, que par l'ordonnance de la marine d’août 1681 (titre de la liberté de la pêche, article 14).

Des traités de ce type sont adoptés pendant la guerre de Cent Ans et accordent aux pêcheurs étrangers la liberté de venir sur les côtes britanniques ; les premières véritables conventions datent de la fin du Moyen Age avec un traité signé en 1403 entre Henri IV d’Angleterre et Charles VI de France pour le hareng frais pêché dans les « Narrow seas » .

La France donnera depuis longtemps l’exemple de cette pratique humaine : il y eut la trêve pécheresse de 1521 entre François 1er et Charles Quint – l’on a dit que le traité ne consistait qu’en cela ! – puis les articles 49 de l’édit de février 1543 et 79 de l’édit de mars 1584 ; « mais comme les anglais ne pratiquaient pas la réciprocité des “fishing truces” et détruisaient les barques et engins de pécheurs français, il ne fut plus question sous Louis XIV de ces trêves, ni dans l’ordonnance de 1681 ni dans celle de 1692 ; et donc, ces trêves pècheresses n'ont presque plus été pratiquées, même pour la pêche journalière du poisson frais, depuis la fin du 17ème siècle, par l'infidélité de nos ennemis qui enlevaient continuellement nos pêcheurs, tandis que les leurs faisaient leurs pêches en toute sûreté. »

Plus près de nous, il y eut une convention de liberté de pêche de septembre 1707 entre la France et les Provinces Unies, puis le traité de 1785 entre les Etats Unis et la Prusse défend en son article 23 de molester notamment les pêcheurs …

La trêve pècheresse n’étant plus observée, les pêcheurs sont capturés, les navires confisqués, les installations à terre brulées ; les guerres corsaires franco-anglaises ne concèdent aucune tolérance ; les anglais maîtres des mers interceptent tous les navires des nations hostiles, qu’ils soient guerriers, marchands ou pêcheurs ; les français ripostent notamment dans le secteur de Terre-Neuve au moyen des interventions suivantes :

-          En 1696-97,  les français de Pierre Le Moyne d’Iberville et de Noel Danycan détruisent les villages anglais de Terre-Neuve

-          En 1762, Ternay détruit les pêcheries anglaises

-          En 1796, destruction de Saint-Pierre et de cent navires anglais par l'Amiral Joseph de Richery et le chef de division Allemand

                                                                                                          YDF

            Sources :

-          Commentaire sur l’ordonnance de la Marine d’août 1681 par René Josué Valin

-          Dictionnaire des Sciences, Arts et Métiers par Charles Joseph Panckouke Paris 1780

-          Une mer pour deux royaumes par Renaud Morieux